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Libération: Beat, génération spontanée

http://next.liberation.fr/arts/2016/06/26/beat-generation-spontanee_1462178

Par Judicaël Lavrador 26 juin 2016 à 17:11

Au centre Pompidou, plongée roborative dans le foisonnement artistique qui proliféra tous azimuts après le lancement de ce mouvement au milieu des années 40 par Burroughs, Ginsberg et Kerouac.

Untitled (Primrose Path), 1965, de Brion Gysin et William S. Burroughs.Zoom
Untitled (Primrose Path), 1965, de Brion Gysin et William S. Burroughs. Photo Los Angeles County Museum of Art.

Au Centre, le rouleau de papier calque sur lequel Kerouac tapa Sur la route d’une traite s’étire de tout son long, filant jusqu’au fond de l’expo. Au centre Pompidou, la rétrospective «Beat Generation» tiendra cette promesse inaugurale d’un déploiement du mille-feuilles d’œuvres, de techniques, de médiums et de personnages, stars et seconds rôles ici remis au premier plan, que constitue son sujet.

Qui est Beat ou pas ? En fonction de quels critères décidés ? La scénographie, qui articule espace ouvert aux quatre vents et renfoncements d’alcôves, donne un premier élément de réponse. Il n’y a ainsi a priori pas une esthétique Beat, comme il y peut y avoir, à la même époque, dans les années 40-50, une école expressionniste abstraite. Les Beats furent une bande d’amis aux contours flous et poreux, à géométrie variable, avec des gens qui rentrent et qui sortent, qui voyagent beaucoup. Aussi, l’expo se structure-t-elle à travers des zones géographiques plutôt que par thèmes (la drogue, le bouddhisme, le jazz, la quête de spiritualité, l’engagement politique, la libération des mœurs, le cut-up…). Lesquels se retrouvent ainsi entrelacés de toutes parts.

L’acte de naissance date de la rencontre d’Allen Ginsberg, Jack Kerouac et William Burroughs sur le campus de l’université de Columbia à l’hiver 1943, puis, des liaisons que ce noyau dur d’intellectuels, une fois installé à Manhattan, noue avec «la pègre», ainsi que l’écrit Barry Miles dans le catalogue, «univers en marge de la normalité bourgeoise», dont relève un certain Herbert Hunckle «prostitué homosexuel et voleur». Le type, dans la dèche, s’en plaint dans ces termes : «I’m beaten down.» Il est abattu, au bout du rouleau : c’est de là que viendrait le nom de cette «génération perdue», qui se colore aussi des battements saccadés du jazz et d’une aspiration à la béatitude.

Contexte puritain

Dans l’expo, nombre de films et de photographies documentent un New York d’après-guerre miséreux, avec une population aux abois, des figures de pauvres gens, de survivants, auxquels la texture grésillante et grisonnante des images prête une apparence spectrale mais belle. Il suinte dans ces pièces une inquiétude sur l’avenir : la Beat Generation ne se berce pas d’insouciance, elle est pétrie d’inquiétudes. Le thème de l’apocalypse sous la forme du champignon atomique revient dans plusieurs pièces (notamment Doomshow, de Wisniewski), motivant même Bruce Conner à s’exiler au Mexique en 1962 pour «attendre à l’abri l’holocauste nucléaire», lit-on sur le cartel de son film Looking for Mushrooms, où l’artiste documente dans une succession de plans syncopés et saturés de couleurs poisseuses et bande-son envoûtante sa recherche de champignons hallucinogènes en compagnie d’un expert, Timothy Leary, promoteur en chef du LSD.

Le contexte historique d’une Amérique maccarthyste et ségrégationniste, homophobe et puritaine, pèse au cœur de ces jeunes gens et a comme corollaire, certes, la production d’œuvres prenant l’air et la route (la série des «Américains», réalisée en 1951 par Robert Frank, figure en bonne place) mais aussi, plus surprenant, la production d’œuvres d’intérieurs. Pull My Daisy, coréalisé en 1959 par le même Robert Frank et Robert Leslie, prend ainsi comme unité de lieu, forclos, l’atelier de ce dernier. Une foule joyeuse s’y presse, allant et venant entre les jazzmen, tandis qu’en voix off, Kerouac livre ses commentaires improvisés. A l’autre bout de l’exposition, c’est un autre espace clos qui est reproduit : la chambre occupée par Brion Gysin, au Beat Hotel, repaire de la bande, au début des années 50, un établissement de troisième catégorie tenu par une maternante madame Rachou au 9, rue Gît-le-Cœur, vers Saint-Michel (Paris Ve). C’est là que la Dreammachine, bricolage d’un abat-jour percé, d’une ampoule jaune et d’un tourne-disque, a émis ses premiers rayons hypnotiques.

Entrance [/ Exit], de William S. Burroughs, 1988. Photo A. Mole et courtesy Semiose galerie, Paris

Créer dans l’urgence

Les œuvres Beat initient un art du bricolage, qui prend à bras-le-corps la matière – sonore, textuelle ou plastique – en se familiarisant avec «les techniques de reproduction moderne, explique Philippe Alain-Michaud, co-commissaire avec Jean-Jacques Lebel. Ils recourent donc à l’électrophone, le pick-up, le magnétophone (l’enregistreur, puis à bande), à tous les systèmes d’impressions artisanaux, aux imprimantes, à la caméra et à l’appareil photo». Autant de machines (exposées dès le début de l’expo) dont ils ne respectent pas exactement le mode d’emploi. Outre Kerouac, qui fait donc cracher à sa machine à écrire un rouleau ininterrompu, Burroughs fait tourner en boucle son appareil, voire lui coupe la chique, prenant des photos des photos qu’il vient de prendre, qu’il découpe et recompose, jusqu’à ce que ces images bégayent et ne donnent plus à voir rien d’autre qu’une suite enivrée de manipulations grossières et spontanées.

C’est ce qui lie ces œuvres, une façon de faire du lâcher-prise, de la pulsion, de l’urgence ressentie, une méthode de création. Ce qui n’implique pas de filer droit devant : il y a mille retours en arrière, hésitations, hoquets. Les Beats démarrent au quart de tour mais en passent par mille détours. Une trajectoire zigzagante qui s’entend dans les nombreuses bandes-son de poèmes scandés sur un rythme inimitable, mélange de respiration retenue et de souffle lâché. Les affichettes fluos des Singing Posters d’Allen Ruppersberg dont deux murs sont tapissés tâchent ainsi de retranscrire autant le texte du poème Howl, écrit par Allen Ginsberg, que la musicalité de la lecture que l’auteur en fit, en 1955, dans une petite galerie de San Francisco.

Électrons libres

Ressasser les mots et les formes : on retrouve cette addiction chez l’une des rares femmes de l’expo, Jay DeFeo (morte en 1989). Une artiste à qui certains vouent un culte contagieux, à cause d’un chef-d’œuvre très spécial, The Rose, tableau pesant une tonne et figurant des pétales étoilés, où se perçoit surtout l’application obstinée de l’artiste à remettre sur le métier son ouvrage en empilant des couches de plâtre et de peinture, huit années durant, de 1960 à 1968, jusqu’à ne plus pouvoir extraire cette œuvre, obèse et planante, de l’atelier sinon en cassant les murs. Jay DeFeo – dont les peintures et dessins abstraits, formes morcelées aux surfaces adipeuses, sont également exposés à la galerie Frank Elbaz – a croisé la route des Beats là où elle résidait, à San Francisco, non loin de la fameuse librairie City Lights, tenu par Lawrence Ferlinghetti. Mais elle reste un électron libre… comme beaucoup d’autres de cette génération. Voire comme tous, en fait, y compris Burroughs, dont les peintures des années 80 sont accrochées à la galerie Semiose : des planches de bois, sur lesquelles l’auteur du Festin nu bombait (à la manière de ses nouveaux amis, Basquiat et Warhol), le visage d’extraterrestres, gros yeux et têtes hydrocéphales, avant de tirer dessus à la chevrotine. Touchées, trouées, hors des clous, ces peintures des années 80 d’un des pionniers de la Beat Generation, œuvres tardives au regard des bornes chronologiques de la rétrospective du centre Pompidou (approximativement, 1943-1969), rappellent que la Beat est une génération sans âge qui n’a jamais renoncé à causer à la société, ou à l’art, d’utiles dommages.

A lire : «Pull My Daisy», éd. Macula, 20 €. Et aussi le dossier «Beat Generation» de la revue «Mettray», septembre 2016, 15 €.

Judicaël Lavrador Beat Generation Centre Pompidou, 75004. Jusqu’au 3 octobre. Rens. : centrepompidou.fr

Jay DeFeo Galerie Frank Elbaz, 75003, Jusqu’au 30 juillet. Rens. : galeriefrankelbaz.com

William S. Burroughs Galerie Semiose, 75003. Jusqu’au 23 juillet. Rens. : semiose.fr

France Culture: William Burroughs, junky céleste

Sur France Culture aujourd’hui: Beat Generation 2/4 William S. Burroughs, junky céleste dans LA COMPAGNIE DES AUTEURS

http://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/beat-generation-24-william-s-burroughs-junky-celeste

Fondateur d’une nouvelle forme d’écriture, William S. Burroughs (1914-1997) a révolutionné l’écriture à partir des années 1950 en proposant un langage abstrait et halluciné, tiré d’une expérience de l’excès : portrait du plus énigmatique des romanciers de la Beat Generation.

William S. Burroughs à Paris en 1964
William S. Burroughs à Paris en 1964 Crédits : Radio France

« Un écrivain ne peut décrire qu’une seule chose : ce que ses sens perçoivent au moment où il écrit… Je ne suis qu’un appareil d’enregistrement… Je ne prétends imposer ni « histoire » ni «intrigue » ni « scénario » … […] Je ne cherche pas à distraire, je ne suis pas un amuseur public… »
Extrait du Festin Nu, de William S. Burroughs (trad. Eric Kahane, Folio/ Gallimard 2002)

William Seward Burroughs reste encore aujourd’hui l’auteur le plus sombre et le plus littéraire de la Beat Generation. Auteur majeur dans l’histoire de la littérature américaine, il expérimenta et développa la technique du Cut-up, qui consiste à défragmenter un texte original pour produire un nouveau langage. Il connaît la notoriété avec son ouvrage phare: The Naked Lunch/ Le Festin Nu publié pour la première fois en France en 1959. Du monde littéraire à la peinture, William Burroughs s’est illustré comme chef de file de la contre-culture en s’affranchissant des règles de l’art et des conventions sociales par la consommation excessive de drogues dures et d’une passion déroutante pour les armes à feu, jusqu’à tuer « accidentellement » sa femme en 1951.

Parcours d’une vie démesurée avec Gérard-Georges Lemaire, écrivain, historien et critique d’art, auteur d’une quinzaine de préfaces aux romans de Williams S. Burroughs, de l’ouvrage Burroughs chez Artefact en 1986 mais aussi de deux anthologies sur la Beat Generation.

Intervenants: Gérard-Georges Lemaire : écrivain et essayiste, Olivier Mony, Jacques Bonnaffé : Comédien.

 

A lire sur William Burroughs:

chez Interzone Editions: Le Temps des Naguals – Autour de Burroughs et Gysin , anthologie, 135 pages, édition illustrée.

Version pdf en ligne : http://www.inter-zone.org/thetimeofthenaguals/TNFR.pdf

Sommaire: http://www.interzoneeditions.net/TNFRcontents.pdf

Anthologie en anglais: The Time of the Naguals (en ligne en pdf):

– Tome 1: Around Burroughs and Gysin

– Tome 2: Research: 163 pages

– Tome 3: Cut-ups: 92 pages

– Tome 4: Poems: 150 pages (English, Spanish, French)

– Tome 5: Short stories , 117 pages

– Tome 6 : Theatre , 64 pages

– Tome 7 : Interzone , 127 pages