25.01.2006
Réponse aux questions posées par Francis Néri
dans sa note du 26/12/05 "Discrimination et ségrégation" :
Quelques questions que je me pose et auxquelles je vous invite à répondre !
Bonjour Monsieur Néri,
Je vais tenter de partager avec vous les réflexions que certaines m’inspirent, sans pouvoir néanmoins répondre à toutes, ce qui me paraît impossible en raison de leur nombre. Mais les questions que vous posez ici me semblent primordiales et m’ont donné envie de partager avec vous mes réflexions à leur sujet.
Trois qui me sont essentielles :
La religion est-elle au cœur d’une identité à construire ?
De quelle construction d’identité parlez-vous ? Si c’est en termes de sémantique générale qu’il est question d’aborder les problèmes ici, cette formulation ne me semble pas correspondre à cette discipline : le concept d’identité est inhérent à la logique d’Aristote, dont il constitue le premier principe. La sémantique générale le rejette catégoriquement. Voir à ce sujet la deuxième conférence de Korzybski à Olivet College à http://semantiquegenerale.free.fr/Articles/Olivet2.html
Si je comprends bien votre question, corrigez-moi si je me trompe, elle signifie : « Est-il nécessaire de s’identifier à une religion pour construire l’image de soi-même ? » Et le fait est que certaines personnes se définissent avant tout en fonction de leur religion et privilégient les critères d’évaluation religieux à tout autre.
Il me semble ici que la sémantique générale peut nous aider à avancer dans la mesure où elle peut nous amener à faire la différence entre les différents niveaux d’abstraction :
a) Niveau des religions et niveau des gens qui les représentent
b) Niveau des religions et niveau des textes sacrés
c) Niveau des religions et niveau des discours
d) Niveau des religions et de la spiritualité
et ainsi prendre du recul par rapport à des dogmes d’origine humaine, sans lien avec l’origine des religions, et parfois élaborés dans des contextes historiques sans rapport avec le monde dans lequel nous vivons actuellement.
Au-delà des différences religieuses, les concepts d’Etat laïc et de séparation de l’Eglise et de l’Etat permettent d’englober chaque croyance à partir du moment où elle ne nuit à personne et respecte la constitution. C’est pourquoi dans notre pays le niveau religieux n’est pas opposable au niveau constitutionnel, ce dernier l’intégrant.
Le niveau religieux engage notre vision de l’homme et du monde. Celle-ci est différente selon qu’on considère que notre vie commence à notre naissance et s’arrête à la mort de notre organisme comme le font les athées, ou selon qu’on considère qu’elle n’est pas limitée à la vie de l’organisme, comme c’est le cas des croyants.
Quoi qu’il en soit, chacun est parfaitement en droit d’adopter pour lui-même la conception qui lui convient, mais pas de l’imposer à quiconque.
Y a t-il une voie entre assimilation et vie séparée ?
Pour être moi même allée travailler à l’étranger, je sais que l’assimilation n’est pas seulement une question de volonté personnelle : il ne me semble pas possible d’être « complètement assimilé », à savoir de se couler dans le moule du pays où l’on arrive en mettant de côté sa culture propre: j’arrive dans un autre pays avec ma propre culture, il m’est impossible de la mettre de côté, elle imprègne mes façons de penser sans même que j’en aie pleinement conscience. Dans mon propre cas, il s’agissait de la Belgique, et j’ai réalisé en côtoyant les Belges que certains mots que nous utilisions les uns et les autres n’avaient pas le même sens : dans le domaine de la philosophie par exemple, le terme n’a pas le même sens en France et en Belgique, en raison des différences du contenu et de la structure de l’enseignement : en Belgique, le but de la philosophie, qui est enseignée dans le cadre de cours de morale, consiste à procurer aux élèves un esprit critique. Ce fait a d’ailleurs engendré un certain nombre de malentendus entre les membres belges et français des listes des cafés philo, qui s’affrontaient sur le contenu de leurs échanges, chacun mettant sous le terme de « philosophie » ce qu’il avait vécu dans son propre pays en le considérant comme « seul vrai », tout en rejetant le contenu du terme dans l’autre pays et sans savoir qu’il s’agissait de deux enseignements différents. Il y avait en réalité la « philosophie 1 » appliquée en France, et la « philosophie 2 » qui a cours en Belgique, qui existent toute les deux, et dont il n’existe aucune autorité au dessus des peuples pour décider qu’une est « meilleure » ou « plus vraie » que l’autre.
Il me faut donc du temps pour prendre conscience des nouveaux concepts du pays dans lequel j’arrive, dont je ne suis pas informée au départ. Cette découverte implique de prendre une certaine distance par rapport à ma culture propre et de me plonger dans celle du pays où j’arrive, afin de pouvoir l’appréhender dans une certaine mesure. Et pour cela, je dois côtoyer les gens du pays, afin d’apprendre à leur contact leur façon de penser et de réagir. Je dois me familiariser avec les expressions et mots nouveaux du français parlé en Wallonie, afin de pouvoir comprendre les gens.
En conséquence, je pense que nous avons un rôle important à jouer dans cette assimilation : il importe de donner aux nouveaux venus des cartes du territoire dans lequel ils arrivent, sans quoi ils ne peuvent s’y orienter correctement. Et cela implique un travail de pédagogie.
En revanche, le choix de vie séparée me pose question : si je vais habiter dans un autre pays en vivant coupée de celui-ci, en le concevant comme antagoniste au mien, quel est l’intérêt d’y venir ? Si je veux vivre comme chez moi, je reste chez moi, mais je ne peux pas aller vivre ailleurs et m’attendre à y vivre comme dans mon pays, ce qui revient à exiger de ce qu’il n’y a pas. Ou plus exactement, je « peux » le faire, mais le résultat sera profondément frustrant pour moi.
Faut-il placer le droit à la différence et à la diversité avant l’identité de la France ?
1. Tout d’abord un mot concernant « l’identité de la France » : il n’existe rien de tel que « la France » qui aurait une identité statique et immuable . Une anecdote amusante sur mon vécu au retour de Belgique : alors qu’en arrivant en Belgique j’avais du me familiariser avec le wallon, j’ai du faire de même à mon retour en France du fait de l’apparition, dans le langage courant chez les gens que je rencontrais, d’expressions qui n’existaient pas à mon départ : « Ca le fait pas », « Noir de chez noir », « du taf », etc…. Déménageant de Belgique en Bourgogne, j’en avais déduit tout d’abord qui s’agissait là d’expressions régionales. Quel ne fut pas mon étonnement en les entendant également utilisées dans les média par un certain nombre de gens : je me suis dit « Il y a quand même beaucoup de Bourguignons dans les média en France. » et la confrontation aux faits a démoli mon hypothèse, en raison de l’étendue de la dispora bourguignonne qui aurait alors immigré à Paris si cette hypothèse avait été exacte, et j’ai réalisé que ces expressions n’étaient pas bourguignonnes, mais qu’elles étaient apparues en France après mon départ 🙂
Le pays dans lequel je revenais fin 2002 n’était plus le même que celui que j’avais quitté en 1999 : le gouvernement était différent, avaient eu lieu un certain nombre d’événements dont je n’avais pas eu connaissance. La France, tout comme nous, est en constante évolution, et n’est jamais identique d’un moment à un autre.
Parallèlement, l’image que j’avais de mon pays en partant de celui-ci s’était modifiée à mon retour, dans la mesure où j’avais confronté les lieux communs et l’auto-dévalorisation nationale à l’image du pays en Belgique et en Hollande, qui se révélait éminemment plus positive. Ainsi ces trois ans hors des frontières m’ont permis de prendre conscience d’aspects de la France dont je ne tenais pas compte auparavant, ce qui m’a permis d’y revenir par choix.
Ceci dit, le droit à la différence et à la diversité ne me semblent pas opposables à la citoyenneté et aux droits et devoirs que celle-ci implique. Il n’existe aucune définition de ce qu’être français implique, hormis le cadre légal. La reconnaissance des différences de chacun permet de tirer partie des richesses respectives, ce qui est impossible si l’on attend des gens qu’ils se comportent comme des reflets d’un verbe imposé ou qu’ils se conforment à un modèle fixé, ce qui n’est pas réaliste, car il n’a jamais été défini officiellement. Le droit à la différence et à la diversité est inclus dans la constitution.
Vivre en France implique le respect de sa législation, de sa constitution. Dans la mesure où les droits des citoyens ne sont pas inhérents à leur culture, mais à leur citoyenneté, cette constitution me parait tout à fait en mesure d’intégrer les différences des citoyens, d’où qu’ils viennent. Le respect de la constitution française n’est pas opposable au respect de l’individualité des citoyens. Il l’intègre complètement.
Et d’autres :
L’exclusion est-elle un fait culturel ou racial, une représentation, ou la conséquence d’un déficit d’intégration par le travail et les pannes de l’ascenseur social ?
Il me semble qu’elle peut être une conséquence de tous ces facteurs. Toutefois j’observe que certains groupes culturels n’ont aucune difficulté à s’intégrer, je pense aux Portugais, tandis que pour d’autres, cela est plus problématique. Dans le cas des Portugais entre le fait que beaucoup étaient des professionnels du bâtiment, ce qui leur donnait une certaine indépendance à l’égard du marché de l’emploi, tout comme les Italiens immigrés en Belgique : en regroupant leurs compétences respectives, ils peuvent acheter des biens immobiliers, les retaper ensemble et les revendre avec bénéfice en se partageant celui-ci. Bien évidemment tous les groupes sont potentiellement en mesure de faire cela, mais une telle organisation implique d’y être familiarisé, il nécessite des connaissances et une pratique professionnelle, une bonne entente et l’aptitude à travailler en complémentarité.
La transgression est-elle socialisante ?
De quelle transgression parlez-vous ? A partir de quel interdit ? Je crois qu’il importe ici de se référer aux faits réels : il y a des degrés dans les transgressions : fumer une cigarette dans les toilettes n’est pas la même chose que brûler une voiture. Les conséquences ne sont pas du tout les mêmes.
Tout dépend également de la nature des interdits : certains interdits sont basés sur une nuisance réelle : « Ne joue pas avec les allumettes, tu vas te brûler », et d’autres interdisent des choses qui ne sont pas nuisibles, comme l’interdit de l’auto-érotisme. Le respect d’interdits fondés sur une nuisance réelle est socialisant et structurant dans la mesure où ceux-ci protègent de ces nuisances. Alors que les interdits basés sur la notion de crime sans victime sont pernicieux, dans la mesure où est alors interdit ce qui ne nuit pas, et permis ce qui nuit. Se produit ainsi une inversion des valeurs, effectivement nuisible pour tout le monde. Les interdits non fondés n’ont pas lieu d’être dans le cadre de notre modèle constitutionnel, ils nous enferment dans des problématiques de culpabilité.
Il est ici important de prendre ce facteur en compte : ce qui fonde entre autres l’ « entité » d’une nation, ce que Jung appelle son « inconscient collectif », qui structure les comportements de groupe en son sein sont également les événements qui ont jalonné son histoire, et sont à l’origine des problématiques qui l’enferment et qui conditionnent les comportements des citoyens. Ces problématiques agissent également à un niveau génétique, les réactions de peur générées par certains événements sont transmises de génération en génération, et tant que nous n’avons pas compris leur origine, nous en restons prisonniers mentalement.
La compréhension des problématiques permet de les résoudre, mais cela implique un retour sur l’histoire du pays et l’analyse des événements à l’origine des « nœuds » historiques. Une telle démarche pourrait se révéler efficace par rapport à la sinistrose qui empoisonne mentalement ce pays actuellement.
La transgression peut-elle participer d’une société nouvelle et laquelle ?
Encore ici de quelle transgression parlons-nous ? Je suppose que si je regarde l’évolution des dernières décennies, la transgression à la législation sur les drogues a entraîné des changements au niveau de la société, dans la mesure où la consommation du cannabis s’est étendue largement. Toutefois le phénomène est mondial, et il n’a pas les mêmes conséquences pour les citoyens selon que ceux-ci habitent en France, où ils sont susceptibles d’être condamnés pour cela, ou en Hollande, ou la loi l’autorise.
Les conséquences de nos actes sont-elles toujours appréhendées selon les principes de causalité et de non contradiction ?
??????????????? Qu’entendez-vous par là ? Si je regarde autour de moi, je constate que les conséquences des actes sont généralement moins prises en compte que les interdits moraux fondés sur des critères de « bien » et de « mal » sans rapport avec les conséquences des actes au niveau des faits. La conséquence en est la culpabilisation des individus et la recherche de boucs émissaires. Cette incapacité de se confronter aux conséquences des actes engendre l’irresponsabilité. Nous nous concevons comme « coupables », et agissons de façon irresponsable. Seule la confrontation aux conséquences des actes peut engendrer une prise de conscience permettant aux gens de décider d’inverser les comportements
La question n’est pas alors tant de punir celui qui commet un acte nuisible que de lui faire prendre conscience des conséquences pour lui-même et les autres ce qu’il fait réellement. A partir de là, il décide généralement de modifier son comportement, non pas par respect de l’autorité, ni sur la pression du regard des autres, mais par cohérence et respect envers lui-même.
Les communautarismes et les replis identitaires sont-ils une chance ou un danger pour les Français, la France et son identité ?
Il me semble que la question des communautarismes nécessite une mise au point avec les gens qui viennent vivre dans notre pays : leur choix implique le désir d’apprendre à connaître le pays, sa langue, ses habitants, ses coutumes, sa législation, etc… Venir habiter quelque part et se couper du pays ne me paraît pas réaliste ni cohérent. Il n’est pas cohérent de venir vivre en France et de s’attendre à vivre comme dans une théocratie , tout comme il ne serait pas cohérent de ma part d’aller vivre en Arabie Saoudite et d’exiger de me promener en minijupe ou de m’attendre à y pratiquer le naturisme. Si je veux mettre une mini-jupe ou faire du naturisme, je reste en France. Si je veux vivre comme dans une théocratie, je vais vivre dans un régime religieux. Mais je ne vais pas vivre dans un Etat laïc en me comportant comme dans un Etat religieux et réciproquement.
L’immigration subie ou voulue est-elle une chance ou un danger pour la France et les Français ?
Si les Français ressentent l’arrivée d’immigrants comme un danger, que les arrivants considèrent leur intégration dans le pays comme dangereuse pour leur identité, et que les groupes structurent leurs relations sur des peurs et des oppositions, le résultat risque d’être très décevant et destructeur pour tout le monde.
Parallèlement, si les arrivants sont heureux de venir et respectueux des modes de vie du pays d’accueil, les autochtones ne se posent pas la question de leur dangerosité : les Portugais n’ont jamais été ressentis comme dangereux par quiconque.
Il y a également ici le contexte politique international contemporain, qui n’existait pas il y a par exemple trente ans : en 1970, il était possible d’aller en Orient par la route en ne traversant que des pays en paix. L’islamisme n’existait pas, il n’y avait pas de guerre en Afghanistan ni en Irak, pas de terrorisme de masse, etc.
Les jeunes que l’on voit incendier les voitures sont Français en droit, mais leur naturalisation sociale s’est-elle faite ?
Les gens qui incendient des voitures ne sont pas tous d’origine étrangère. A d’autres époques des gens ont envoyé des cocktails molotov et se sont livrés à des actes de pillage et de destruction. Aujourd’hui encore, voir le comportement actuel de certains supporters des match de foot , les hooligans, sans rapport avec les problèmes d’immigration.
La question me semble plus de savoir ce qui pousse un jeune à aller incendier une voiture : si je me réfère à mon expérience des manifestations de l’après soixante huit, il y a le fait que quand on est mineur, on agi impulsivement, on a une énergie monumentale qu’on n’arrive pas à canaliser et on ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Les manifestations et affrontements avec les forces de l’ordre représentent une sorte de jeu, tout comme on jouait aux cow boys étant enfant. Il y a lors des affrontements un déchaînement d’énergie collective, dans le cadre duquel les individus peuvent commettre impulsivement, entraînés par d’autres, des actes qu’ils ne feraient pas individuellement hors de ce contexte.
La question que je me pose alors est « Le rôle des forces de l’ordre consiste t-il à servir d’exutoire aux tensions et aux débordements d’énergie des adolescents ? » N’y aurait-il pas d’autres stratégies plus efficaces, dans le cadre même des forces de l’ordre, qui permettraient de déboulonner d’emblée ce genre de débordement et d’éviter de rentrer dans ce jeu ?
Je me pose également la question du rôle de programmes de télévision qui diffusent sans arrêt des images violentes. Est-il cohérent de bombarder sans arrêt des jeunes avec ces images et de s’ offusquer quand ils les reproduisent ?
Et également celle du rôle du postulat qui sévit depuis des décennies, qui accrédite l’idée fausse d’une opposition entre un peuple et ses propres forces ? Cette opposition m’apparaît dénuée de sens et de fondement : elle génère un conflit qui n’a pas lieu d’être, pervertit le regard des citoyens sur la policei, conditionne négativement leur comportement à son égard et les maintient mentalement dans un rapport de force qu’ils ne sont de toutes façons pas en mesure de remporter sur un plan purement stratégique, les forces de l’ordre ayant généralement les moyens de leurs ambitions.
Pour quelles raisons la machine à intégrer s’est-elle enrayée ? La porte du travail étant verrouillée, est–il encore possible de pratiquer ou de subir une immigration de peuplement ?
La question du verrouillage de la porte du travail, et du taux de chômage me pose question : une partie de celui-ci est créée artificiellement par des entreprises qui trouvent plus économique de faire faire le travail de trois personnes à une seule, et en licencient deux. Cette évolution de l’économie, qui n’existait pas il y a 30 ans, engendre un chômage factice qui pourrait être facilement résorbé si les embauches étaient proportionnelles à la somme de travail que peut accomplir un individu. Ce n’est pas une question de fatalité, mais de choix, et pas seulement de la part des gouvernants, mais des acteurs au sein des entreprises, de la politique des directeurs d’établissements.
De même que les emplois pourraient être structurés en fonction de ce que les gens savent faire réellement et aiment faire, et de ce qu’ils font bien, plutôt que de diplômes.
Prenez un groupe de gens sans emploi ; demandez-leur individuellement ce qu’ils sont capables de faire réellement pour remplir les fonctions du groupe humain dans lequel ils vivent, rassemblez le tout, et voyez avec ceux qui sont volontaires comment ils peuvent s’organiser pour résoudre collectivement leur situation en tirant partie de l’ensemble de leurs ressources humaines, de leurs moyens respectifs et de ceux du milieu. Je parie qu’ensuite on y verra plus clair.
Je pense réellement que la porte du travail pourrait pour une grande part être déverrouillée dans le cadre d’une volonté, d’une stratégie, et d’actions communes des différents acteurs au niveau de la nation, afin de les amener à agir dans le même sens. Cela demande de choisir un cadre qui puisse inclure tout le monde, qui repose sur l’inclusion de tous les éléments dans le même ensemble.
Peut on espérer la victoire des forces s’opposant au nihilisme majoritaire dans la nébuleuse de l’immigration ?
La « nébuleuse de l’immigration » ne me parait pas avoir le monopole du nihilisme : voir celle des théoriciens du chaos, qui n’ont rien à voir avec celle-ci et dont je constate chaque jour la réalité.
et la reconquête de l’estime de soi par la reconnaissance de l’utilité sociale de ces immigrés et de leurs enfants ?
La reconnaissance me semble jouer un grand rôle : voir le nombre de jeunes qui se sont inscrits sur les listes électorales, ce qui démontre leur volonté de jouer le jeu.
Que faut-il placer au premier plan, le rattrapage culturel ou le rattrapage socialisant et éducatif ?
Il me semble qu’il n’est pas possible de dissocier ces niveaux : ils vont ensemble. Ils peuvent être mis en place ensemble, à travers la diffusion de connaissance de base nécessaire à une vie sociale harmonieuse d’une part, et la création de lieux d’accès à la culture pour tous d’autre part.
En matière de médiation sociale, doit-on demander à la religion de participer au règlement de la vie dans la cité ?
Si je regarde des exemples dans le passé, je constate que des gens comme l’abbé Pierre ou sœur Emmanuelle ont participé au règlement de la vie dans la cité, avec des résultats qui semblent considérés comme positifs par une majorité de gens. Donc j’en déduis que les religieux peuvent le faire s’ils le souhaitent. Toutefois ils n’ont jamais agi en opposition avec d’autres religions (sœur Emmanuelle dans les bidonville du Caire), et attribuaient plus d’importance à la valeur des gens dont ils s’occupaient qu’à leur appartenance religieuse. Ils n’exigeaient rien de la part des autorités, se contentant de mettre en place des structures répondant aux besoins humains. Je suppose qu’en tant que citoyens, les religieux, comme les laïcs peuvent participer à la résolution des problèmes au sein des cités dans lesquels ils vivent, à partir du moment où ils se situent dans le cadre de la constitution, mais il ne me parait pas souhaitable qu’ils structurent la vie de la cité sur une religion donnée, ce qui n’est pas compatible avec la nature de l’état laïc et républicain d’une part, et d’autre part parce qu’une telle attitude pourrait entraîner des oppositions et des conflits avec les autres religions : la vie de la cité deviendrait alors un terrain d’affrontement entre religieux dogmatiques de différentes obédiences et otage de celle-ci.
Mon point de vue personnel ici est que des religions qui ont à la base le même Dieu, les mêmes commandements et les mêmes prophètes ne sont pas opposables, et que les conflits qui les opposent n’ont pas lieu d’être sur les bases mêmes de ces religions.
Un recadrage politique est-il aujourd’hui possible au plan de la sécurité, de l’économie, du social, de l’égalité des chances ?
Je ne sais pas s’il est possible de répondre à cette question. Toutefois la seule chose censée consiste à agir dans ces sens : si nous essayons de le faire, nous avons des chances d’y parvenir, tandis que si nous partons du postulat que cela est impossible et n’essayons pas, nous n’y parviendront pas.
La « crise » et la cause des violences urbaines se réduisent-elles à la dépression économique et sociale ?
Est-il encore possible de trouver des valeurs, des repères et des normes communément acceptées, qui puissent structurer notre vie collective ?
Oui, notre modèle républicain. Si nous l’appliquons. Or nous ne l’appliquons pas, et disons ensuite qu’il ne marche pas. Mais pour qu’il marche, il faudrait commencer par le traduire dans les faits à tous les niveaux : au niveau législatif, institutionnel, relationnel, administratif, etc. Il peut parfaitement servir à restructurer la vie économique, dont les règles actuelles sont complètement antinomiques avec ce modèle et inconstitutionnelles.
Comment redonner un contenu à notre vouloir vivre ensemble ?
En élaborant des projets d’actions non politiciennes rassemblant les citoyens des différents courants et groupes dans des objectifs bénéfiques pour tous. Construire ensemble sur la base d’objectifs pratiques humains, réalisables à peu de frais et ne nécessitant pas de structure lourde.
Sommes nous prêts à consentir de nouveaux efforts pour la « remise à niveau » de nos cités et de nos concitoyens en difficulté ?
Qu’entendez-vous par « de nouveaux efforts » ? Il y a des possibilités d’actions qui ne nécessitent pas d’argent, pas de textes de lois, pas de votes, qui peuvent être mis en place par les gens eux-mêmes. Il ne me parait pas responsable de tout attendre des politiques en se dédouanant des responsabilités qu’implique la citoyenneté: ce dont nous avons besoin, il me semble, est d’une coopération entre ceux-ci et le peuple qu’ils représentent, et de l’utilisation de leurs moyens respectifs, ce qui coûterait bien moins cher que d’élaborer des projets d’en haut en privilégiant le niveau budgétaire.
Accepterons nous les règles de mixité sociale, en particulier en matière de scolarisation, de logement et d’urbanisme ?
Il n’y a pas ici que la question de la volonté des politiques et des Français. Il y a aussi de la part des immigrés une question de choix : indépendamment des politiques de la ville et des grands ensembles qui ont engendré des ghettos, le fait est que personne n’est obligé d’y rester avec un fusil sur la tempe s’il ne s’y sent pas bien. Nous vivons dans un pays où 90 % de la population vit sur 10 % du territoire. Il y a donc 90 % du territoire qui est inoccupé.
Certains me diront qu’il est plus facile de trouver du travail dans une grande ville. Toutefois, dans la mesure où un fort pourcentage des gens vivant dans les cités sont sans emploi, tant qu’à être sans emploi, il est plus facile de vivre à la campagne qu’à la ville, la vie y étant moins chère, et de meilleure qualité.
Une politique d’immigration sans contrôle n’a-t-elle pas pour conséquence de saturer les politiques d’intégration ?
Elle peut aboutir, comme au Royaume Uni, à la fuite des citoyens du pays d’origine vers des pays alentour plus vivables : ainsi le nombre d’Anglais qui viennent s’installer en France depuis quelques années, des retraités, mais aussi des gens ne trouvant pas de travail chez eux, qui peuvent bénéficier ici des avantages sociaux. L’aspect pervers de l’immigration anglaise est la manipulation du marché de l’immobilier par des spéculateurs qui vendent aux arrivants des biens à un prix deux fois supérieur au prix du marché français, et qui à terme, font exploser ce marché. Monsieur Blair nous donne des leçons d’économie en faisant apparaître celle qu’il impulse comme meilleure que la nôtre, nous serions en droit en retour de lui présenter la facture que nous occasionne l’arrivée de ses ressortissants et d’en demander le remboursement avant de prendre son bilan pour argent comptant.
Les vagues d’immigration familiales se transforment-elles en immigration d’ayants droits (allocations familiales, RMI, AME) ?
Oui automatiquement pour les citoyens de l’espace européen. Pour les autres, l’obtention de ces droits est plus difficile. Toutefois le problème des aides n’est pas seulement celui de l’immigration : la plupart des gens qui en bénéficient sont Français, même si leur pourcentage est moins important que celui des immigrés : imaginons que demain les immigrés sans emploi retournent tous chez eux : cela ne signifie pas du tout que les Français auraient tous du travail pour autant. Les règles de l’économie n’en seraient pas changées, il n’y aurait pas moins de précarité : simplement il y aurait davantage d’exclus parmi les Français de souche. Il faut en finir avec le cliché de l’immigré pauvre et du Français riche : beaucoup de Français vivent dans des conditions économiques aussi difficiles que les immigrés, aussi les réactions de ressentiment que ces derniers peuvent nourrir à l’égard des descendants des Gaulois dans ce domaine n’ont pas lieu d’être. Leurs pays d’origine ne sont pas mieux lotis. Economiquement, nous sommes tous dans le même panier. Ce n’est pas ici au niveau des gens qu’il convient d’agir, mais des règles génératrices d’exclusion, qui ont pour conséquence l’appauvrissement et le pillage du pays tout entier.
Le contrat d’intégration et la formation linguistique des étrangers est-il en vigueur et s’il l’est combien de ceux-ci l’ont suivi ?
La formation linguistique me parait être indispensable. La Suède pratiquait il y a quelques années une politique d’immigration incluant l’apprentissage obligatoire de la langue, des droits et des devoirs, et l’obligation de se former professionnellement. La nationalisation s’accompagnait d’une cérémonie à la mairie où le maire accueillant le nouvel arrivant avec un apéritif, lui remettait un dossier contenant les bases de son arrivée dans le pays, l’énoncé de ses droits et devoirs, et lui souhaitait la bienvenue ; dans un tel contexte, l’immigration n’est pas vécue comme un parcours du combattant, l’arrivant n’a pas à lutter pour vivre dans le pays puisque lui sont fournis d’emblée les moyens de vivre, il est accueilli comme un hôte, ce qui l’incite à se comporter comme tel.
Les étrangers et leurs enfants de première ou de deuxième génération souhaitent-ils véritablement l’intégration ou un développement séparé ?
Tout dépend des individus. Il n’existe aucun groupe qui serait représentatif de l’ensemble des immigrés dans leur ensemble. Toutefois j’ai observé en Belgique que le fait d’immigrer dans un pays développe parallèlement le sentiment d’appartenance à son pays d’origine, et peut développer le nationalisme, l’attachement aux traditions, etc, qui maintiennent alors les immigrants dans un modèle statique qui n’existe plus en réalité dans leur pays d’origine. Ainsi l’étonnement des jeunes Siciliennes quand elles allaient en vacances en Sicile, et constatait qu’il y régnait une liberté bien plus grande que celle dont elles jouissaient dans leur propre famille, qui les avaient élevées selon les critères valables à l’époque où leurs parents avaient quitté l’île, mais n’avaient plus cours sur celle-ci deux générations plus tard.
Pour quelles raisons trop de jeunes, nés en France, titulaires d’une carte d’identité nationale se sentent étrangers à notre pays ?
Le mieux pour le savoir serait encore de le leur demander. Il serait intéressant d’avoir un forum où avoir de tels échanges entre les acteurs à différents niveaux.
Faut-il encore et toujours opposer les tenants de la prévention aux tenants de l’ordre public ?
Non, bien sur. Les deux sont complémentaires et indispensables.
La « politique de la ville » a t-elle vraiment les moyens de changer la société ?
Tout dépend qui l’impulse, et qui peut et veut y participer.
Supposons le problème de l’immigration résolue que faut-il faire ensuite ?
??????????? Vivre ensemble entre gens de bonne compagnie, je suppose. 🙂
Dans le cas ou l’on puisse reprendre l’ouvrage de l’intégration, par quel bout commencer : fermeté, prévention, éducation, socialisation, formation, emploi, habitat ?
Très franchement, si nous utilisions vraiment les moyens technologiques dont nous disposons aujourd’hui (internet, les média, les supports audio-visuels), il serait possible de donner aux gens des moyens d’acquérir à peu de frais éducation et formations. Je pense à la télévision scolaire qui existait il y a plusieurs décennies; je pense à la possibilité de cours sur internet, à leur enregistrement sur CD rom qui pourraient être réalisés par les enseignants, et vendus ensuite à peu de frais, etc.
Dans le domaine de l’emploi, des facilités aux créateurs d’entreprises seraient les bienvenues : il existe des conseils auxquels ils ont droit à travers l’ANPE, mais par un système pervers, elle enrichissent davantage les formateurs que les créateurs d’entreprises eux-mêmes. Ces formateurs n’ont pas à répondre du contenu de leurs interventions et ne sont pas tenus à des résultats, ils ne sont pas partie prenante dans la future entreprise, qui n’est pas leur aventure, et il arrive que la qualité de leur travail ne soit pas à la hauteur du montant des honoraires que leur verse l’Etat.
L’habitat ? Avant d’engloutir des sommes énormes dans la construction de logements sociaux, il est possible d’utiliser les maisons vides dans les villages, d’occuper les territoires désertifiés et d’encourager d’autres modes de construction moins chers, en formant des gens sans emploi, et en encourageant les gens à mettre la main à la pâte : être sans emploi implique qu’on a du temps ; plutôt que de se lamenter sur son sort sans lever le petit doigt en appelant au matin du grand soir, il est possible d’envisager une région où on aimerait habiter, de construire des habitations avec d’autres, et d’élaborer ensemble un mode de vie adapté aux besoins.
Cela n’est pas une question de décision politique, ni de crédits, ni de lois, ni de rien de tout cela. Cela demande des gens sans emploi qu’ils sortent de leur léthargie, et de la part des pouvoirs publics, une prise de conscience de l’étendue des possibilités réelles des individus et du milieu, et la volonté de travailler en complémentarité avec les citoyens. Ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de changement d’attitude mentale des uns et des autres.
Très franchement, la situation m’apparaît objectivement plus favorable que l’image qui en est diffusée dans les média. L’issue ne dépend pas de la situation elle-même, de faits qui ne dépendraient pas de nous et devant lesquels nous serions impuissants, elle dépend d’un changement d’attitude mentale à l’échelle de la nation.
L’exemplarité de nos élites et la justice sociale sont-elles suffisamment établies auprès de l’opinion publique pour que les citoyens fassent confiance à un projet de société, encore largement à élaborer, et dont ils ont tout lieu de penser qu’ils en seront, sinon les bénéficiaires, du moins les seuls payeurs ainsi que leurs enfants ?
Et si, au lieu de se voir sempiternellement imposer des projets d’en haut pour lesquels ils devraient payer, ils avaient la possibilité de participer à leur élaboration, en utilisant non pas tant de l’argent que de l’énergie, du temps et de la matière grise ? Il n’est pas possible de décider à la place de quelqu’un d’autre et au dessus de lui, en fonction de critères abstraits sans lien avec les faits, aussi est-il parfaitement irréaliste de le faire ni d’attendre que des politiques y parviennent. Cela ne peut pas marcher.
Les expériences culturelles et éducatives excluant toute forme d’autorité et de contraintes ont semble-t–il vécu.
Tout dépend de celles dont vous parlez. J’anime personnellement un réseau littéraire et artistique dans lequel je n’exerce pas au départ d’autorité proprement dite, et dans le cadre duquel il n’y a pas de contrainte au départ, si ce n’est des bases de relations simples basées sur la complémentarité et la non-compétitivité, et qui marche parfaitement. Toutefois il implique le respect de règles de comportement, auxquelles les membres agréent, ne nécessite pas de manipulation d’argent, ce qui facilite les choses sur le plan pratique. Il me semble également important, pour y parvenir, de remplacer les hiérarchies de dominance par des hiérarchies de compétences. Ceci dit, il s’agit d’un réseau n’ayant aucun objectif à atteindre si ce n’est de répondre aux attentes de ses membres. Nous n’avons pas d’obligation à respecter. Mais il est réellement possible d’y parvenir.
Faut-il pour autant renoncer à l’éducation, la régulation des conduites, la socialisation, la formation et à la promotion de nos valeurs sociétales au bénéfice de la seule répression ?
Non, cela ne marche pas. Ce n’est pas en « dressant » les gens que les choses s’arrangeront : les humains ne sont pas des chiens et ne fonctionnent pas de la même façon. Je crois beaucoup plus à la responsabilisation de chacun, qui repose sur la reconnaissance et le développement des potentialités des individus, et à la mobilisation des énergies sur des objectifs pratiques : créer ensemble en tirant partie des aptitudes individuelles. Et à, la traduction dans les faits des bases de notre modèle démocratique.
Le laxisme apparaît comme un encouragement à passer à l’acte avec le sentiment de l’impunité. Le temps n’est-il pas venu pour notre démocratie de rappeler la force du droit et le sens des devoirs ?
Absolument. Il me semble important de mettre des limites quand c’est nécessaire.
L’immigration arabo-africaine entend t-elle conserver ses spécificités culturelles et religieuses, ses normes sociales et ainsi élaborer et consolider des « ghétos » identitaires ?
Je ne pense pas que tous les gens venant d’Afrique ou des pays arabes puissent être considérés comme une entité, ni que leurs façons de vivre ou de se comporter puissent être définie de façon générale. Dans la région où j’habite, les rares personnes venant des pays arabes sont pour la plupart des médecins hospitaliers, des gens éduqués, qui accomplissent une charge de travail considérable, ne font partie d’aucun ghetto, et dont la fonction est indispensable si l’on raisonne sur la base de l’ utilité publique : si demain ils cessaient de travailler dans les hôpitaux, ceux-ci ne pourraient plus fonctionner, et la population n’aurait plus les moyens d’être soignée à l’hôpital. Le phénomène des ghettos communautaires est un phénomène urbain, limité aux grandes concentrations de populations. Ailleurs il est absent.
Pour peu qu’ils en aient la volonté, les jeunes n’ont-ils pas le choix entre leur insertion dans la société et un monde de délinquance, de marginalisation et de guérilla urbaine de groupe communautarisés ?
Bien sur qu’ils ont le choix. Et pas seulement entre ces deux alternatives opposées, mais entre un ensemble de possibilités bien plus étendues : ils peuvent effectivement
1. s’insérer dans la société
a) avec les moyens que celle-ci met à leur disposition
b) avec d’autres moyens qui existent et ne sont pas pris en compte actuellement, en tirant partie des capacités et des moyens réels dont ils disposent, qui sont plus étendus que ceux qu’ils utilisent effectivement,
2. devenir délinquants, mais cela ne présente pas d’ intérêt,
mais ils peuvent également :
3. Retourner vivre dans leur pays d’origine ou dans tout autre pays de leur choix, sur d’autres continents que l’Europe,
4. Prendre du recul par rapport à leur situation en voyageant, en France mais également dans d’autres pays,
5. Aller travailler dans d’autres pays que la France,
6. Etc.
Si le droit de vote des immigrés résidants depuis 10 ans en France était accordé, les jeunes Français des banlieues voteraient-ils pour des Français ?
Ils voteraient automatiquement pour des Français dans la mesure où il faut avoir la nationalité française pour se présenter à des élections en France.
Au lieu de mettre nos jeunes délinquants en prison, d’où ils ressortent plus radicaux et marginaux que jamais, ne devrions nous pas leur imposer un service public national d’où ils reviendraient grandis pour être des citoyens responsables ?
Pour moi, l’idée d’un service public national est une bonne idée. Pas seulement comme alternative à la prison, ni limitée aux jeunes issus de l’immigration, mais comme une possibilité offerte à tous les jeunes, en raison des lacunes en matière d’éducation.
Pour ce qui est de l’imposer, je ne sais pas si c’est la meilleure solution : voyez le service militaire : quand il était obligatoire, la plupart des jeunes voulaient y échapper. Maintenant qu’il n’existe plus, beaucoup souhaiteraient le faire. Donc plutôt que de l’imposer, donner les moyens de le faire aux jeunes qui le souhaitent. La base du volontariat est toujours plus payante que celle de la contrainte au niveau des résultats : les gens sont motivés, et ils font de leur mieux.
Pour les gens qui sont condamnés à de la prison, le minimum serait de faire en sorte d’assainir les conditions de détentions, afin d’arrêter le processus qui rend le remède souvent pire que le mal. Et d’utiliser ce temps où ils sont coupés de la vie sociale pour leur donner des moyens de repartir, à leur sortie, sur de nouvelles bases (formations, psychothérapies, etc.).
Toutefois, pour les gens qui ne veulent absolument pas se conformer aux lois du pays ni au contrat social, il me semble qu’il devrait être possible de refuser leur présence sur le territoire (et je ne parle pas ici seulement pour les immigrés). C’est une question de choix de vie et de respect de la démocratie : « Ici le contrat est le suivant, si vous n’en voulez pas, vous êtes libres d’aller vivre dans un pays qui en applique un autre », ce qui est possible en raison de la liberté de circulation actuelle et du nombre de pays sur la planète. Plutôt que de renvoyer plusieurs fois des gens en prison, il pourrait être possible de les interdire de séjour pendant un temps donné. Leur donner les moyens de repartir sur de nouvelles bases s’ils désirent rester, sinon leur dire d’aller voir ailleurs, où bon leur semble, pendant un certain temps.
Peut on lutter contre la violence dont les principales victimes sont les pauvres, les femmes et les immigrés ou les personnes issues de l’immigration, sinon par un équilibre nécessaire entre la prévention et la répression ?
Bien évidemment, l’équilibre entre prévention et répression est souhaitable.
Lutter contre la violence implique de prendre en compte les différentes sources de celle-ci : la violence économique qui sévit actuellement sur toute la planète mériterait également qu’on lui mettre des limites. Nos dirigeants n’en sont pas à l’origine, pas plus que nous. Cette violence n’est pas compatible avec notre modèle de démocratie républicaine. Nous pourrions alors nous entendre entre dirigeants et dirigés pour y mettre bon ordre. 🙂
Peut on faire cesser l’immigration massive autrement qu’en aidant les peuples à construire un avenir meilleur où ils se trouvent ?
Une telle aide passe par un changement des relations entre pays riches et pauvres, et implique que les premiers renoncent à piller les seconds. Mais là encore, les règles économiques actuelles n’ont pas été impulsées par notre pays, et ne sont pas compatibles avec celles de notre constitution. Lesquelles voulons-nous véritablement privilégier ? Il me semble tout à fait possible d’élaborer avec leurs pays d’où sont issus les immigrés de nouvelles règles permettant de les enrichir et de nous enrichir par la même occasion : gagner de l’argent n’implique pas nécessairement de le prendre à quelqu’un d’autre, il est possible de le faire en enrichissant les partenaires plutôt qu’en les appauvrissant, et de s’enrichir en même temps, ce qui est de l’intérêt de tout le monde. Plutôt que de jouer un jeu dont les règles séparent les joueurs en gagnants et en perdants, il est possible de jouer un autre jeu dans lequel nous décidons que tous les joueurs sont gagnants. Cela dépend de nous.
en faisant, s’il le faut, acte d’ingérence humanitaire pour éviter la corruption et le détournement des aides au profit d’élites corrompues ?
Peut être y a-t-il d’autres moyens : laisser s’instaurer des relations économiques libres entre les professionnels de différents pays. Changer les bases de la distribution des aides : plutôt que de les donner à des élites, il serait plus efficace de la distribuer directement aux gens qui en ont besoin.
Peut on refuser plus longtemps de voir que la solution à nos problèmes sociaux est avant tout une économie plus libre,
Une économie plus libre ? Oui, certainement. et l’institution de règles d’échange non truquées.
qui peut donner plus de croissance et plus d’emploi, mais aussi que la croissance a une limite, celle de la démographie des peuples en développement.
Comme il ne sera jamais possible d’accueillir et de nourrir tous les enfants du monde, ne faut-il pas également mettre un frein à l’explosion démographique ?
Pour ne parler que de l’espace national, l’ensemble des citoyens aurait intérêt à donner aux nouveaux arrivants les moyens de participer à l’activité économique du pays au lieu de les en exclure, ne serait-ce que pour pouvoir payer les retraites des générations qui viennent. Il me paraît incohérent de se plaindre que le pays n’a pas assez de travailleurs pour payer les retraites de demain et d’exclure parallèlement du marché du travail les gens qui peuvent y participer, tout en pillant littéralement l’ensemble des salariés, comme cela a lieu actuellement. Les immigrés n’ont pas le monopole de la précarité, celle-ci touche tout le monde, et s’exerce au détriment de l’économie de toute la nation.
En attendant, doit-on ?
Eradiquer les bandes de voyous dans les quartiers ?
Eradiquer les bandes de voyous demande de prendre à bras le corps le problème des marchés parallèles et des secteurs d’économie mafieuse. Sans quoi le voyou que vous enlevez de la rue est remplacé par un autre dès le lendemain, puisque la structure qui génère son existence n’a pas bougé, et c’est une chaîne sans fin. Ce n’est pas seulement au niveau de la rue que cela se joue, mais également de la politique étrangère. A l’intérieur du pays, cela demande des mesures qui rendraient les trafics impossibles en privant les vendeurs de fonction. Point ne serait besoin alors de les arrêter : ils seraient contraints de se recycler.
Développer l’emploi d’utilité publique ?
Si, au lieu de structurer le monde de l’emploi en fonction de critères sans liens avec la vie des gens , il était organisé en fonction des besoins humains ? Est-il cohérent que les secteurs qui sont indispensables sur le plan humain (santé, éducation, sécurité) soient dévalués, alors que d’autres, non indispensables, jouissent d’effectifs pléthoriques (administration) ?Peut-être y aurait-il déjà un réajustement à faire à ce niveau.
Doper le logement social ?
Francis NERI
Président de l’Institut Européen de Socialisation et d’Education
Strasbourg le 22 Décembre 2005
Favoriser l’installation des gens dans les zones peu peuplées, en tirant partie des ressources immobilières qui s’y trouvent est également une autre possibilité : quel est l’intérêt de villages qui se dépeuplent, où les logements vident augmentent ? Une répartition de la population plus équilibrée permettrait déjà de diminuer la pression qui existe actuellement dans les citées surpeuplées, sans investir dans des logements sociaux qui risquent à long terme d’aboutir aux mêmes effets dans la mesure où ces logements regroupent des gens de conditions précaires.
Isabelle BAUDRON-AUBERT
Membre de l’Institute of General Semantics,
Traductrice en sémantique générale.
19 janvier 2006.