A William Burroughs, Brion Gysin, Henri Laborit , Roger Gentis, Francis Jeanson, Jean-Louis Baudron, Bernard Aigron, Louis Picard, Jean-Pierre Verrier, Bernard Lafond, Clovis Durand, Paul O’Donovan, à mes collègues infirmiers, et à tous les acteurs de ce livre, vivants et morts.
J Warwick Sweeney salue le travail de pionnier de son grand-père dans la thérapie de la toxicomanie. Mais il croit que ses méthodes socialement conscientes ont été abandonnées en raison de la cupidité des entreprises 6 septembre 2019 Par J Warwick Sweeney
On pourrait dire que les histoires derrière mon livre Hardy Tree ont atterri sur mes genoux – je suis, après tout, le petit-fils de son sujet John Yerbury Dent, autrefois connu comme un pionnier des thérapies de la toxicomanie. Mais je mentirais si je disais que c’était facile; être fidèle à ce qui s’est réellement passé était essentiel, mais j’ai également ressenti un besoin impérieux de rendre justice à l’histoire et à son message politique. Comme nous tous, j’en ai connu beaucoup qui ont été victimes de la toxicomanie et de ses conditions connexes; les dépressions et les angoisses. Et bien sûr, Dent étant mon grand-père, j’ai ressenti un profond malaise face à l’augmentation exponentielle de la souffrance que personne ne semble actuellement capable d’arrêter.
J’en ai discuté avec ma mère et elle m’a donné les mémoires de son père et des tas de manuscrits inédits. J’ai demandé conseil à des spécialistes de la toxicomanie d’aujourd’hui pour voir s’ils pouvaient aider à donner un sens à tout cela. Ce que j’ai vite compris, c’est que ce qui manque aujourd’hui, c’est tout sens de la probité morale ou éthique. La médecine, en particulier dans le domaine des maladies psychosociales, est dominée par la pharma et la bureaucratie, ce qui ne peut qu’aggraver les choses. Mon grand-père maternel symbolisait l’opposé polaire de cette culture de la «pilule par jour». Et quant aux spécialistes de la toxicomanie d’aujourd’hui? Certains d’entre eux peuvent se mettre à la place de Dent, mais je n’ai pas encore rencontré quelqu’un qui soit vraiment capable de les lacer.
Face à cela, je devais simplement expliquer le fossé entre l’approche et la philosophie de mon grand-père et l’idiotie bureaucratique surdimensionnée d’aujourd’hui; l’énorme trou que cela représente en termes de prestations sociales, les communautés détruites, les sans-abri, les toxicomanes et la conséquence mondiale inévitable, les innombrables millions de morts sans voix.
Il s’agit d’une histoire politique très troublante et j’ai réalisé, probablement un peu tard dans la journée, que mon grand-père et moi partageons une profonde sensibilité politique, une préférence pour la politique ascendante basée sur une gestion des connaissances. Parmi son fouillis d’écrits, j’ai trouvé une lettre à un ami éditeur. Il a écrit: «Je me méfie de toute autorité lorsqu’elle est incontrôlée d’en bas.» Cela me l’a emporté. Mon grand-père était un social-démocrate qui appelait à une meilleure compréhension de la toxicomanie précisément parce que cela profiterait à la société.
C’est donc une triste ironie que ses connaissances aient été négligées par les fraternités médicales et politiques. Pourtant, il n’a jamais été aussi critique pour la société de repenser la direction actuelle du voyage. Nos lois sur les drogues n’ont pas atténué la menace de la toxicomanie, elles l’ont permis. C’est la conséquence d’un gouvernement autocratique, où règne une culture de lobbying en faveur des intérêts des entreprises, plutôt qu’un sentiment de probité éthique.
– Andrew faisait allusion au pouvoir extraordinaire du cerveau d’intercéder en notre nom
Mon grand-père avait utilisé un médicament appelé apomorphine pour sevrer les gens de leurs dépendances biochimiques. J’ai cherché le professeur Andrew Lees de l’UCL, qui a utilisé avec succès l’apomorphine pour soulager les symptômes de ceux qui souffrent de la maladie de Parkinson. Je ne me sentais pas très bien moi-même, je venais de tomber à 150 pieds d’une falaise à Snowdonia. Andrew était curieux.
« Comment c’était? », A-t-il demandé.
« Eh bien, vous pourriez penser que dans les airs, vous deviendriez rigide de peur, mais étrangement le contraire s’est produit. Je me suis relaxé! »
« Tu es tombé comme un bébé? » Suggéra-t-il.
« Oui, je suppose. »
« Alors vous avez un aperçu. » Andrew sourit.
Andrew faisait allusion au pouvoir extraordinaire du cerveau d’intercéder en notre nom. En une fraction de seconde, il peut fermer notre conscience, notre «cerveau avant» et s’appuyer sur les voies du «cerveau arrière». D’une manière particulière, je faisais face, dans des circonstances bizarres, à une autre dimension de l’appréciation de mon grand-père pour la neurologie, que la véritable puissance du cerveau n’est pas notre côté exécutif, le cortex, mais le système limbique du cerveau arrière. Depuis ce jour, Andrew est devenu un personnage important dans ma détermination à mettre en lumière les batailles que mon grand-père fidèle a eues tout en essayant de diffuser les causes de la dépendance et comment réduire son emprise sur la société.
Au sein de ma famille, nous avons grandi en «sachant» que mon grand-père était athée. Au cours de mes recherches sur Hardy Tree, ce récit n’a pas semblé convaincant, en particulier lorsque j’ai réalisé que ses propres parents avaient été très spirituels, sinon religieux.
« Votre père était Quaker, n’est-ce pas? » Ai-je dit un jour à ma mère et à ma tante. Ma mère a gratté les couches d’un souvenir défaillant…. «Oh oui», se souvient-elle, «Un jour, juste avant une affaire mineure dans laquelle j’ai dû témoigner, il m’a appelé. « Chéri, » dit-il, « n’oublie pas que tu peux affirmer, tu sais? » «
Je savais peu de choses sur le quakerisme, mais je savais que dans un tribunal, les quakers n’ont pas à jurer sur la Bible. Les Quakers sont également des réformateurs sociaux farouchement résolus, prônant des pratiques de bénéfice mutuel grâce à la coopération. Il était immédiatement clair que les principes Quaker; La simplicité, le pacifisme, l’intégrité, la communauté, l’égalité et la gérance – ÉPICES – avaient éclairé l’approche de mon grand-père en matière de doctorisation. Tout sur lui; sa politique, ses convictions et sa pratique médicale se sont soudainement alignées et tout s’est mis en place. Et Hardy Tree a commencé à fleurir. J Warwick Sweeney’s Hardy Tree – A Doctor’s Bible est maintenant disponible (Bracketpress, 30 £), disponible directement sur bracketpress.co.uk
J Warwick Sweeney hails his grandfather’s pioneering work in addiction therapy. But he believes his socially-conscious methods have been cast aside due to corporate greedSeptember 6, 2019By J Warwick Sweeney
It could be said the stories behind my book Hardy Tree landed in my lap – I am, after all, the grandson of its subject John Yerbury Dent, once known as a pioneer of addiction therapies. But I’d be lying if I said it was easy; being faithful to what actually happened was critical, but I also felt a compelling need to do the story and its political message justice. Like all of us I have known many who have fallen victim to addiction and its allied conditions; the depressions and anxieties. And of course, with Dent being my grandfather, I felt an acute sense of unease at the exponential rise in suffering that nobody currently seems capable of arresting.
I discussed this with my mother and she gave me her father’s memoirs and piles of unpublished manuscripts. I sought counsel among today’s addiction specialists to see if they could help make sense of it all. What I soon realised is that what is missing today is any sense of moral or ethical probity. Medicine, particularly in the field of the psycho-social diseases, is dominated by pharma and bureaucracy, which can only result in things getting worse. My maternal grandfather symbolised the polar opposite of this ‘pill-a-day’ culture. And as for today’s addiction specialists? Some of them may stand in Dent’s shoes but I have yet to meet one who is truly capable of lacing them.
Confronting this I simply had to explain the gulf between my grandfather’s approach and philosophy and the over-medicalised red-tape idiocy of today; the huge hole that this represents in terms of social provision, the destroyed communities, the homelessness, the addicted and the inevitable worldwide consequence, the countless millions of voiceless dead.
This is a very troubling political story and I realised, probably a bit late in the day that my grandfather and I share a profound political sensibility, a preference for bottom-up politics based on a stewardship of knowledge. Amongst his jumble of writings I found a letter to a publishing friend. He wrote, “I am suspicious of all authority when it is uncontrolled from below.” This clinched it for me. My grandfather was a social democrat who appealed for greater understanding surrounding addiction precisely because it would benefit society.
It is a sad irony therefore that his knowledge has been neglected by the medical and political fraternities. Yet never has it been more critical for society to rethink the current direction of travel. Our drug laws haven’t mitigated the threat of addiction, they have enabled it. This is the consequence of autocratic government, where a lobbying culture in favour of corporate interests prevail, rather than any sense of ethical probity.
Andrew was hinting at the brain’s extraordinary power to intercede on our behalf
My grandfather had used a drug called apomorphine to wean people off their biochemical dependencies. I sought out Professor Andrew Lees at UCL, who has successfully used apomorphine to provide symptomatic relief to those suffering from Parkinson’s disease. I wasn’t feeling very well myself, having just fallen 150ft off a cliff in Snowdonia. Andrew was curious.
“What was that like?” he asked.
“Well, you might think that in mid-air you’d go rigid with fear, but strangely the opposite happened. I relaxed!”
“You fell like a baby?” he suggested.
“Yes, I suppose so.”
“Then you have insight.” Andrew smiled.
What Andrew was hinting at is the brain’s extraordinary power to intercede on our behalf. In a split second it can shut down our consciousness, our ‘front brain’, and rely on ‘back brain’ pathways. In a peculiar way I was confronting, through bizarre circumstances, a further dimension of my grandfather’s appreciation of neurology, that the real powerhouse of the brain is not our executive side, the cortex, but the back-brain limbic system. Since that day Andrew has become a significant figure in my determination to bring to light the battles my steadfast grandfather had while trying to broadcast the causes of addiction and how to reduce its grip on society.
Within my family we grew up ‘knowing’ that my grandfather was an atheist. During my research into Hardy Tree this account appeared unconvincing, particularly when I realised his own parents had been highly spiritual, if not religious.
“Your father was a Quaker, wasn’t he?” I said one day to my mother and aunt. My mother scraped away the layers of a failing memory…. “Oh yes,” she recalled, “One day, just before a minor court case in which I had to testify he rang me up. ‘Darling,’ he said, ‘don’t forget you can affirm, you know?’”
I knew little about Quakerism but did know that in a court of law Quakers do not have to swear on the Bible. Quakers are also fiercely resolute social reformers, advocating practices of mutual benefit through cooperation. It was immediately clear that the Quaker principles; Simplicity, Pacifism, Integrity, Community, Equality and Stewardship – SPICES – had informed my grandfather’s approach to doctoring. Everything about him; his politics, convictions and medical practice were suddenly aligned and everything fell into place. And Hardy Tree began to blossom.
J Warwick Sweeney’s Hardy Tree – A Doctor’s Bible is out now (Bracketpress, £30), available direct from bracketpress.co.uk
Here’s a recent podcast to do with the book, there’s some interesting recordings from the period unearthed by Jim Pennington, on line at http://williamenglish.com/hardy-tree/
Guests on Wavelength this week; Jim Pennington, publisher at aloes books, and J. Warwick Sweeney, author of “Hardy Tree”, an intriguing memoir of pioneering addiction therapist Dr John Yerbury Dent (Warwick being Dent’s grandson) and featuring the time Dent treated the iconic author William S. Burroughs for opiate addiction, published by Bracket Press in September 2019 https://www.bigissue.com/culture/books/j-warwick-sweeney-society-must-rethink-its-approach-to-addiction
Je reproduis cet article du Monde dans lequel Gentis parle des nouvelles thérapies quelques années après leur apparition en France. Aujourd’hui, nous disposons du recul nécessaire pour comparer ce qu’il en disait en 1980 avec ce que nous pouvons en observer depuis quarante ans, et particulièrement de nos jours où elles profitent de la déstructuration de la santé et de la recherche publiques pour se substituer aux professionnels de santé :
Il y voit une mystification et une exploitation commerciale.
Par MAUD MANNONI. Publié le 23 mai 1980 à 00h00 – Mis à jour le 23 mai 1980 à 00h00
» Il y a, nous dit Roger Gentis, des tas de paumés autour de moi, des gens dont les théories ne répondent plus à la pratique, des gens qui bricolent des théories avec n’importe quoi. » D’une part, le » marécage théorique » ; de l’autre, des » théories bétonnées » ; il n’y a, à l’heure présente, plus vraiment de place dans la psychanalyse pour les paumés, les marginaux et les fous. Depuis que les psychanalystes ont gagné en respectabilité, ils ne s’intéressent plus à – ou ils n’intéressent plus – une clientèle dont on pourrait croire qu’elle leur aurait beaucoup appris.
Dans Leçons du corps, Roger Gentis s’interroge, dans le style qui lui est propre, vivant, précis, humoristique, sur l’engouement des jeunes pour les nouvelles thérapies venues d’outre-Atlantique, thérapies inspirées de Reich, revues et adaptées par des médecins et thérapeutes tels Alexander Lowen (qui lança, en 1950, la thérapie bioénergétique » pour relâcher les tensions et débloquer les affects « ) et Arthur Janov (qui mit au point, il y a dix ans, une méthode spectaculaire appelée thérapie primale, dans un cadre thérapeutique d’isolement, proche de la déprivation sensorielle).
Gentis tente une double démarche : comme thérapeute et comme patient.
Des théories naturalistes
Comme thérapeute, il met en relief l’inadéquation des théories et s’interroge sur le contenu idéologique des » nouvelles thérapies « . L’accent mis par ces nouveaux idéologues sur la « quête du plaisir « , la confusion qu’ils entretiennent entre désir et besoin, l’idéalisation du « corps sain « , le culte de la » mère nature « , le procès intenté au » père usurpateur « , c’est – il ne faut pas s’y tromper – l’introduction d’un bouleversement dans les repères (et règles du groupe), annonciateur d’un autre monde, fût-ce celui du déclin.
» Au nom de quoi, dit, cependant, Gentis, chercherait-on à se mettre en travers de ces thérapies ? » Ce ne sont pas tant les thérapies qui lui semblent blâmables que la mystification théorique sur laquelle elles se fondent et l’exploitation commerciale éhontée qui en est faite. » Les gens sont tellement conditionnés de nos jours. Un conseil donc : quand vous lirez ces mecs-là, prenez tout le temps de réfléchir. Sinon vous vous faites avoir en douceur. » Gentis nous explique de façon magistrale comment c’est le rejet par Reich de la thèse freudienne de la pulsion de mort qui va permettre de réduire ensuite la psychanalyse à des théories naturalistes ; Freud avait montré que l’hédonisme ne pouvait suffire. Un principe distinct, la pulsion de mort, lui avait paru nécessaire pour rendre compte de la haine, de la répétition, de la culpabilité.
Langage et inconscient
C’est comme patient que Gentis a affronté les » nouvelles thérapies « . Le stage (dans un groupe thérapeutique reichien) commence un matin à 10 heures.
» Au repas du soir, nous dit Gentis, je savais que j’étais embarqué dans une des plus grandes aventures de ma vie. »
Deux événements vont le marquer : au cours d’un des exercices, Gentis, le patient, se met à respirer sur un mode court et précipité. Intervient l’animatrice, qui lui dit : » Sens combien tu respires. » » Tiens, se dit Gentis, que veut dire halètement ? » À partir de cet instant précis, à partir des effets de la représentation halètement = allaitement, une hallucination le saisit au corps : » J’ai reçu dans la bouche une goulée de lait tiède qui s’est propagée jusqu’à l’estomac. » Quelques mois plus tard, travaillant comme patient avec l’animateur du stage (auquel il est affectivement lié), lui revient un geste autrefois familier (croiser les doigts des deux mains, se frottant droite contre gauche la peau des phalanges : jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, nous explique Gentis, il souffrait d’un eczéma suintant interdigital qui guérit à la suite d’un traitement homéopathique). À la fin de l’ » atelier « , Gentis découvre que la peau entre ses doigts était couverte de vésicules, les mêmes que jadis, qui ne s’étaient pas manifestées depuis vingt ans. Ces mêmes vésicules, qui autrefois suintaient pendant des heures avant de se dessécher, se résorbèrent ce jour-là en moins d’une demi-heure et disparurent sans laisser la moindre trace.
Comment ne pas rapprocher ces » événements » des expériences décrites par Chertok ? On y voit comment la suggestion peut aboutir à une » conversion » somatique (on savait déjà qu’il est possible d’obtenir par hypnose des traces de brûlures et d’ecchymoses, et la disparition des verrues rebelles).
Les » transes thérapeutiques » remises en honneur par les » nouveaux thérapeutes » seraient-elles donc faites de la soumission hypnotique du patient à un mage ? La question ne sera pas clairement posée.
Gentis, en tant que patient, a éprouvé la séduction qu’exercent ces méthodes, tout en gardant assez de conscience pour les juger avec lucidité (si les symptômes disparaissent sous l’influence de la végétothérapie, ils reviennent dès que le traitement se trouve interrompu). La mise à l’écart du transfert par les » nouveaux thérapeutes « , la suspicion jetée par eux sur le verbal, ne résistent pas aux faits : lorsque la thérapie a quelque effet, Gentis nous montre que c’est à partir d’une improvisation du patient avec son thérapeute. Et lorsque les exercices bioénergétiques aboutissent à un » blocage « , c’est bien, nous dit-il, avec les mots que le processus se trouve relancé. Ainsi l’intérêt n’est-il pas tant d’opposer une thérapie à une autre que de s’interroger sur les effets concrets d’une position idéologique qui oppose le langage et l’inconscient à un au-delà bioénergétique.
Les tenants d’une » pureté » freudienne n’ont-ils pas, par leur surdité et leur indifférence aux problèmes de leur époque, participé à cette création paranoïaque ? Freud avait renoncé à sauver le monde. Les » nouveaux thérapeutes » proposent, eux, une doctrine de salut.
Dans un monde où Dieu a disparu, où les structures familiales se trouvent réduites à la famille nucléaire, elle-même évanescente, les jeunes demandent à croire, et, comme ledit Gentis, » sont prêts à avaler n’importe quoi » pour trouver des repères et des raisons d’exister.
Depuis une à deux décennies, la préférence dans le monde est donnée aux vérités totalisantes, aux techniques de suggestion et de manipulation des individus. Mais ces techniques et l’engouement quasi religieux pour les sectes n’existaient-ils pas déjà aux États-Unis avant l’arrivée de Freud ? Il n’y a, en fait, rien de changé, si ce n’est que, le commerce aidant, les jeunes sont devenus un marché géré avec efficacité au plan international. Les jeunes sont appréciés (via drogues et » attrape-couillons » divers) ; on a réussi à en faire des produits exploitables.
Extrait du film « Vivre à Bonneuil » sur l’expérience de l’école de Bonneuil sur Marne, dirigée par Maud Mannoni. Lieu de vie, institution éclatée, Bonneuil est un des lieux référence de la psychothérapie institutionnelle, accueillant des enfants et des adolescents.
Victor Bockris nous fait découvrir un Burroughs tel qu’en lui-même, passionné par l’hypothèse de l’existence objective d’entités cherchant à établir le contact avec les humains. S’en suit un échange échevelé au cours duquel Victor verbalise ses angoisses existentielles sur la question, réconforté par le « Dr Burroughs » qui lui donne des conseils avisés tirés de sa propre expérience et qui clôture l’interview par un entretien post mortem avec Jean Genet. Disruptif.
Mise en garde :
La lecture de ce texte est fortement déconseillée aux lecteurs dépourvus d’humour et inaccessibles au second degré.
Au secours, Docteur Burroughs ! LA DERNIÈRE INTERVIEW QUE JE FERAI JAMAIS par Victor BOCKRIS
Traduction: Isabelle Aubert-Baudron
Victor Bockris et William Burroughs – Lawrence – Septembre 1990
Victor Bockris : T’est-il déjà arrivé, au cours de ton existence, de te comporter comme ce que l’on pourrait appeler quelqu’un de peureux ?
William Burroughs : (Assis très droit, fixant la table d’un regard dur, presque irrité) TU ES FOU!?
V. B : Ma foi, non, je ne te vois pas comme quelqu’un de peureux du tout.
W.B. : Je vis comme la plupart des gens dans un état d’affolement permanent. C’est le cas de la plupart des gens qui ont un tant soi peu de bon sens. Ils ne s’en rendent peut-être pas compte mais c’est ainsi. Nous sommes virtuellement menacés à chaque seconde. Cette décennie n’est pas drôle du tout, cette décennie est absolument sinistre. Sinistre et détestable.
(Nous sommes assis autour de la table dans la salle de séjour de la maison de William Burroughs à Lawrence dans le Kansas, James Grauerholz, Bill Rich et moi. Des chats sont installés sur nos genoux ou se prélassent sur le sol. La veille nous sommes revenus de Los Angeles où nous étions allés au vernissage d’une exposition de Burroughs à la galerie Earl Mac Grath. Juste avant que je rentre à mon hôtel la nuit précédente, William m’avait mis deux livres entre les mains – « Quantrill and his Civil War Guerillas » de Carl W. Brethan et « Majestic », un roman de Whitley Streiber. En 1989, Burroughs avait rendu visite à Streiber dans le but d’entrer en contact avec les étrangers dont ce dernier avait parlé dans « Communion et Transformation ».)
Victor Bockris : Comment as-tu fait la connaissance de Whitley Streiber ?
William Burroughs : Très simplement. Ses premiers livres m’avaient beaucoup intéressé et j’étais convaincu de l’authenticité de ce qu’il avançait, quelle qu’en soit la nature. J’avais l’impression qu’il ne s’agissait ni d’une escroquerie, ni d’un truquage. J’ai ensuite donné ses livres à lire à Bill, qui se trouve ici et qui se montre toujours très, très sceptique, et il a dit : « Après les avoir lus, je ne mets pas en seul mot en doute. » J’ai dit que j’étais certain qu’on se trouvait en présence d’un phénomène. Suite à cela, j’ai écrit une lettre à Whitley Streiber pour lui dire que je souhaiterais beaucoup entrer en contact avec lesdits visiteurs. Anne Streiber m’a alors répondu en disant : « Nous voulons nous assurer qu’il s’agit bien de vous. Nous recevons une foule de lettres complètement abracadabrantes. » Je lui ai donc envoyé une autre lettre en disant : « C’est bien de moi dont il s’agit » ; sur ce, elle a répondu : « Après en avoir discuté, nous serions heureux de vous inviter à venir dans notre chalet. » Nous nous sommes donc rendus là-bas pour un week-end. Et après m’être entretenu un certain nombre de fois avec Streiber au sujet de ses expériences, j’ai été absolument persuadé qu’il disait la vérité
V. B. : De quoi a-t-il l’air ?
W. B. : Eh bien, c’est un homme de taille moyenne, environ un mètre quatre-vingt-cinq, de corpulence moyenne. Il a ceci de bizarre que la partie de son visage qui va du front jusqu’en dessous du nez ressemble à un masque.
V. B. : Est-ce qu’il dégage de la sérénité ?
W. B. : Non, il n’a pas l’air serein du tout, sans pour autant être inquiétant. Au premier abord c’est un homme qui dégage une formidable énergie et qui est toujours occupé. Depuis que je suis allé le voir, il a écrit un livre entier, Billy, qui est sur le point d’être adapté à l’écran. Il travaille sans arrêt, il a toujours quelque chose à faire et il se promène dans sa propriété; c’est quelqu’un de très actif, tu vois, de très déterminé. Il apparaît comme un homme très accueillant et plein de bons sens. Je ne peux pas dire en ce qui me concerne que j’ai expérimenté quoi que ce soit. Et il m’a dit ceci : au moment où l’expérience se produit, c’est très précis, très physique, il ne s’agit pas de quelque chose de vague, pas comme une hallucination, ils sont bien là; maintenant moi, je n’ai rien vu de tel.
V. B. : (Écartant cette possibilité) : Dans ces conditions, tu n’avais aucune chance de voir quoi que ce soit.
W. B. : Comment ! Qu’est-ce que tu veux dire ?
V. B. : Tu étais un visiteur qui arrivait dans le coin en tant que journaliste. (L’interviewer, après avoir souffert trois jours sur la route dans le rôle du journaliste, commence à crier) TU FAISAIS PARTIE DE LA PRESSE!
V. B. : TU REPRÉSENTAIS LA PRESSE ? ESPÈCE D’ENFOIRÉ ! TOUT LE TEMPS EN TRAIN DE PARLER DE LA PRESSE ! TU APPARTENAIS A LA PRESSE !
W. B. : (calmement) Je n’en faisais pas partie.
V. B. : (Sarcastique) Si, tu en faisais partie. Tu étais dans la position du journaliste et ces enfoirés ne voulaient même pas descendre te parler.
W. B. : (dignement) Je n’ai jamais été journaliste.
V. B. : Allons, voyons, tu parlais sans arrêt de la presse, la presse, cette putain de presse …
W. B. : Ça ne va pas, mon vieux !
V. B. : Évidemment que ça ne va pas !
J. G. : C’est insultant, ce que tu dis là, Victor. Tu as été injustement accusé de représenter la presse…
V. B. : Mais c’est intéressant, il y a de la pertinence dans ce que je dis…
W. B. : Non, non et non…
V. B. : Non, mais, William, excuse-moi…
J. G. : William était un chercheur, il regardait de trop près.
V. B. : Bien sûr !
J. G. : Quand on regarde de trop près, on ne peut rien trouver.
V. B.: Non, j’imagine que c’est en tant qu’écrivain que tu es allé le voir, il te connaissait manifestement comme écrivain, dans ces conditions, il y avait à mon avis peu de chance pour qu’il se passe quoi que ce soit d’important.
J. G. : C’est comme s’ils regardaient, c’est comme s’ils étaient dans des soucoupes, c’est comme…
V. B. : Ouais, si l’on en croit effectivement le récit de Whitley Streiber, que je suis certainement tout disposé à accepter, d’accord, pourquoi diable se précipiteraient-ils quand un écrivain fait le déplacement pour venir passer deux jours ?
W. B. : Pour des tas de raisons. Il y avait des tas de raisons pour que…
V. B. : Qu’est-ce que tu entends par-là ? (De nouveau sarcastique) Écoute, tu crois vraiment qu’ils ont réalisé qui tu étais ?
W. B. : JE CROIS QUE JE SUIS L’UN DES ETRES LES PLUS IMPORTANTS DE CE PUTAIN DE MONDE…
V.B. : (Sursautant) Eh bien je suis d’accord avec toi…
W. B. : …et s’ils avaient un tant soit peu de bons sens, ils se seraient manifestés.
V. B. : Je suis d’accord…
W. B. : Alors c’est exactement ce que je suis en train de dire.
J. G. : En tous cas ils se sont effectivement manifestés à Streiber.
V. B. : C’est bien là le problème ! William Burroughs fait partie des gens les plus importants de ce putain de monde et quand il est allé là-bas pour les rencontrer, ils ne se sont pas manifestés, alors, sérieusement, je dis « Hé ! » Si une personnalité X arrive en disant très clairement « Je viens ici pour entrer en contact » et que le contact ne se fait pas – demandons-nous ce que cela veut dire… !
J. G. : Je pense que cela veut dire que le swami avait mal à la tête.
V. B. : Non, je ne pense pas que ça veuille dire ça.
W. B. : Eh ! attends un peu…
V. B. : C’est une connerie, mon vieux, c’est une réponse de merde…
W. B. : … attends un peu, pas si vite, ne sois pas si stupide ni si désagréable. Cela peut vouloir dire un tas de choses. Cela peut vouloir dire qu’ils n’ont pas jugé bon de venir me chercher à ce moment-là. Cela peut vouloir dire qu’ils auraient remis le contact à une date ultérieure ou cela peut vouloir dire qu’ils me considèrent comme un ennemi.
V. B. : (Avec dévotion) Je ne vois pas comment ils le pourraient.
W. B. : Eh bien, pourquoi pas ? Nous ne savons pas qui ils sont… Je te dis… Ecoute, nous n’avons aucun moyen de connaître leurs véritables intentions. Ils peuvent trouver mon intervention hostile à leurs objectifs. Et il se peut que leurs objectifs ne soient pas amicaux du tout. Exactement comme quand les grands dieux blancs ont débarqué chez les Indiens en Amérique Centrale et c’étaient les Espagnols. Les Indiens ont dit : « Les voilà » et les Espagnols leur ont coupé les mains. Ouais, alors tu ne connais pas leurs intentions.
V. B. : J’aurais pensé que les intentions de William étaient tout à fait claires si bien que j’aurais pensé que tout étranger venant visiter la planète aurait accueilli la démarche de William avec un esprit ouvert.
W. B. : Pas nécessairement. Tu pars du principe qu’ils raisonnent comme nous, comme moi. Nous ne savons absolument pas comment ils raisonnent, ni sur quels critères ils évaluent, ni ce qu’ils veulent ! Nous n’avons pas de clef. L’un d’eux a dit : « Nous sommes des âmes recyclées. » Donc nous procédons sans information…
V. B. : Non, écoute, mon vieux, tu n’as pas à me convaincre, je suis complètement…
W. B. : (Tranquillement) D’accord…
V. B. : (Élevant la voix) MAIS !
W. B. : (S’exprimant lentement et clairement, d’une voix calme, patiente mais ferme, comme un docteur) Calme-toi, mon vieux, calme-toi. Tu t’excite beaucoup trop, tu es beaucoup trop catégorique et je pense que tu devrais tout simplement te détendre et prendre les choses très, très calmement parce que tu es manifestement – sais-tu – très impressionné et bouleversé par toute cette affaire. Alors maintenant on se calme et on parle tranquillement, tu deviens…
V. B. : Je suis tracassé par toute cette histoire parce que j’éprouve la sensation très forte d’être envahi.
W. B. : Qui ne l’éprouve pas ! Tu n’es pas plus envahi que nous tous. Quand je me plonge jusqu’à un certain point dans mon psychisme, je me heurte à une force très très hostile, très puissante. C’est aussi net que si je rencontrais quelqu’un qui m’attaquait dans un bar. (Nous gardons généralement nos distances) mais je ne pense pas que je gagne ou que je perde nécessairement la partie.
V. B. : Je souffre d’une forte sensation d’envahissement. Je l’ai combattue…
J. G. : Eh bien, tu es avec le docteur…
W. B. : C’est pour ça que je t’ai dit de te calmer parce que je vois bien que tout cela te préoccupe. Maintenant, écoute, (murmurant) calme-toi tout simplement. Raconte-moi tout. (Haussant les épaules) Je suis le vieux docteur. Après tout j’ai été… écoute, mon chou, j’affronte ça depuis tant d’années et je sais que cette invasion se produit. Écoute, à partir du moment où tu approches quelque chose d’important, tu ressens cette invasion et c’est comme ça que tu reconnais que là il se passe quelque chose. Moi-même il m’est arrivé de me sentir comme un jeune chien forcé de faire des choses qui allaient m’attirer des ennuis ou des humiliations. Je ne dominais pas la situation. D’ailleurs dans le dernier rêve que j’ai fait, je voyais mon corps sorti de la pièce en marchant (ça se passait à Chicago) j’étais accablé sous le poids d’une mission implacable et je me suis retrouvé au plafond en train de me dissoudre, réduit à une impuissance totale. C’est l’ultime horreur de la possession. Cela se produit sans arrêt.
Ce que tu dois faire, c’est analyser ce qui se passe, te confronter à la possession. Ceci dit, tu ne peux le faire que si tu as effacé les mots. N’essaie pas de discuter, de dire « Oh, je… c’est injuste ! bla bla bla ». Confronte-toi à l’invasion. Si tu contrôles solidement la situation, cela va…
J. G. : Tu dois l’accepter, lui permettre de te défier de manière à pouvoir refuser son défi. Tu dois l’admettre. Tant que tu te débats, que tu tentes de t’y soustraire, tu ne t’y confrontes jamais.
W. B. : Ce que l’entité qui t’envahit cherche à éviter par-dessus tout c’est de se confronter directement à toi parce que cela met fin à l’invasion. Mais l’invasion est la base de la peur, il n’y a rien de plus effrayant que l’invasion.
Maintenant regarde, tu vois, tu as par exemple un Ange Gardien qui te dit ce que tu dois faire ou ne pas faire : « Ne vas pas là, ne fais pas ça. » Il n’y a rien de pire qu’un anti-ange gardien qui se trouve à l’intérieur de toi, qui t’incite à faire ce qu’il y a de pire et qui t’entraîne dans les situations les plus catastrophiques.
V. B. : Le seul moyen que je connaisse pour le repousser, c’est de dire « Non, non, non ».
W. B. : Non, c’est… « Non, non, non », ça ne marche pas. Tu dois le laisser s’insinuer en toi. C’est difficile, c’est difficile, mais je vais te dire une chose, tu prends du recul et tu le laisses t’envahir, s’introduire en toi, au lieu de tenter de t’y opposer, ce qui n’est pas possible. C’est à chacun de trouver le moyen de gérer la situation. Si tu en es capable, et très peu de gens le sont. Et tu as, bon, c’est là toute la position des libéraux : Eh bien ils sont possédés, mais leur intellect ne l’est pas si bien qu’ils sont en mesure de résister à quelque chose qui les possède de l’intérieur. Ils s’y opposent intellectuellement, tu vois, mais ils ne négocient pas avec de façon radicale, pourrait-on dire, aux niveaux psychologiques et en définitive, moléculaire. C’est pourquoi tu ne peux pas, comme je dis, t’opposer intellectuellement à quelque chose qui t’écrase émotionnellement parce que, rappelle-toi que la chaîne de commande ou la chaîne d’action monte à partir des intestins au cerveau postérieur pour s’achever dans le cerveau antérieur. Quand le cerveau antérieur essaie d’inverser cet ordre et commande au cerveau postérieur et aux viscères, ça ne marche pas tout simplement. Les gens disent : « Reprends-toi! » (riant), Eh bien ce n’est pas possible. Plus tu essaies de te reprendre, plus tu perds pied, c’est évident. Tu dois apprendre à laisser la chose t’investir. Je suis un homme du monde, je comprends ce genre de chose. Elles nous arrivent à tous. Tout ce que tu as à faire, c’est de chercher à comprendre ce qui se passe et à l’évaluer pour ce que c’est, c’est tout. Alors ne pense pas que tu sois le seul dans ton cas parce que ce n’est pas vrai. L’herbe est très utile pour affronter ça, elle permet de se détacher. C’est pourquoi elle est si sévèrement réprimée. J’ai appris qu’il y avait une ville en Géorgie (U.S.A.) où quelques personnes donnaient des séances de yoga et ils les ont arrêtées. Ils ont dit « Eh bien, si vous relaxez votre esprit comme ils le disent, vous pouvez être sûrs que le diable va s’en emparer. » Il ne leur est pas venu à l’esprit que le Seigneur mon Dieu pourrait venir. Oh non, « C’est le diable qui rentre ! » Tu relaxes ton esprit une minute et voilà le diable qui arrive ! (S’adressant à un de ses chats qui vient juste de rentrer en batifolant dans la pièce): « Alors comment es-tu entré, toi, petit diable… C’est Spooner. »
L’emprise de la droite s’est terriblement accentuée dans ce pays. Bien sûr ils n’avancent pas dans les rues, mais ils avancent. Et ils ont volé la progression des, hum, libéraux ou quel que soit le nom qu’on leur donne. Je déteste ce mot de « libéraux ». C’est tellement imprécis. Je pense simplement que ce sont, ma foi, des Johnsons[2] – des gens raisonnables qui ont le sens de la modération, qui font preuve de discernement et ne sombrent pas dans des états de fureur hystérique entrecoupées d’autojustifications arrogantes et hypocrites.
V. B. : D’après toi, y a-t-il eu des moments dans ta vie où tu as pu faire certaines choses qui ont bouleversé ton organisme et qui t’ont amené à te regarder sous un jour différent au point de développer ta créativité ?
W. B. : Oui, bien sûr. Je crois que c’est, si j’ose dire, un phénomène très répandu chez tous les gens créatifs. Cela se produit à la suite d’une série de chocs au cours desquels on est obligé de se confronter à soi-même. C’est comme ça, c’est tout. Tout ce qui est à l’extérieur est à l’intérieur et inversement, mais tu actualises ces aspects de toi-même à travers la peinture, l’écriture, le cinéma ou tout ce que tu veux, c’est le résultat d’une série de chocs où tu te rends compte que tu es en train de faire quelque chose d’absolument abominable.
V. B. : Mais on ne passe pas sa vie à faire des choses abominables.
W. B. : Mais si, on en fait tout le temps. Tout le monde en fait tout le temps. Rien qu’au niveau de tes pensées, à travers des tas de choses. Tu n’as pas besoin de massacrer des millions de gens ou de lâcher des gaz innervants, mais combien de gens à la place de Saddam en auraient fait autant et même bien pire ? S’ils en avaient eu la possibilité. Bon, effectivement, où qu’ils soient, ces gens font le pire dont ils sont capables à leur petit niveau partout, et ça arrive quand quelqu’un… eh bien quand les gens ne critiquent pas leur façon de se comporter parce qu’ils sont complètement possédés par ces sentiments de haine, comprends-tu… mais quand on réalise qu’on est en train de se conduire comme eux, alors on est obligé de s’examiner dans tous les détails et un tel examen et une telle prise de conscience font partie intégrante de tout le processus créatif.
V. B. : Est-ce que la peur fait partie intégrante du processus ?
W. B. : Bien sûr, elle fait complètement partie du processus parce que la possession est la forme la plus extrême de la peur. Quand tu te sens obsédé par l’idée de faire quelque chose qui t’inspire de l’horreur ou de la répulsion ou le dégoût le plus total, c’est ça, la peur fondamentale. En fait cela revient à une question de courage.
V. B. : Le courage d’être toi-même, de faire ce que tu es en train de faire ?
W. B. : Oui, le courage de les rejeter.
V. B. : Est-ce que c’est un combat spirituel conscient contre la possession ?
W. B. : Ciel, non ! Ta partie consciente est une arme insignifiante. Tu dois mettre en œuvre toutes les forces dont tu disposes, non pas seulement ici (la tête), mais dans tout ton organisme. Considère celui-ci en fonction de tout son potentiel psychique. D’après les Egyptiens, nous avons quatorze âmes.
(Depuis que William a déménagé dans le Kansas, l’un des changements les plus significatifs qui s’est opéré dans sa vie a consisté dans les relations qu’il a instaurées avec un certain nombre de chats. Ces dernières années, il a eu jusqu’à cinq chats en même temps vivant avec lui en permanence.)
V. B. : Penses-tu avoir beaucoup appris au contact de tes chats ?
W. B. : Oh, Ciel ! J’ai énormément appris. J’ai appris la compassion, j’ai appris toutes sortes de choses avec eux, parce que les chats te renvoient véritablement ton image. Je me souviens d’un jour, j’étais dehors près de la maison en pierre et Ruskie a comme qui dirait attaqué l’un des chatons. Je lui ai donné une petite tape et là, il a disparu. Cela lui avait fait une peine énorme. Et je savais où il était passé. Je suis sorti dans la grange et je l’ai ramené. Juste une petite tape de rien. C’est son humain, son humain l’a trahi, l’a frappé, ouais ! Oh ! Ciel, oui, je ne pourrais pas te dire tout ce que mes chats m’ont apporté. Ils rejaillissent sur toi très profondément. Ils ont simplement éveillé en moi toute une zone de compassion, tu ne peux pas savoir à quel point c’était important. Je me rappelle qu’une fois j’étais couché dans mon lit et je pleurais toutes les larmes de mon corps à la pensée que mes chats pourraient mourir dans une catastrophe nucléaire. J’imaginais que des gens arrivaient en voiture en disant « Tuez vos chiens et vos chats » et là, tu sais, j’en ai littéralement pleuré de chagrin pendant des heures. Oh mon Dieu, et puis cette impression constante qu’il pourrait y avoir une certaine relation entre mes chats et moi, une relation particulière à côté de laquelle j’aurais pu passer… Oui, oui, par exemple ! J’ai abordé ce sujet dans The Cat Inside. C’était une sensation tellement intense que je n’arrivais pas à l’écrire. Je ne pouvais pas l’écrire. Si j’ai appris en compagnie de mes chats, mon Dieu, oh mon Dieu ! Tu sais, les gens me voient comme quelqu’un de glacial – une femme a même écrit que j’étais incapable de tolérer le moindre sentiment. Mon Dieu. J’éprouve des émotions d’une telle intensité qu’elles me sont parfois insupportables. Oh ! Mon Dieu. Alors ils me demandent « Ça ne vous arrive jamais de pleurer ? » Je dis « Bon Sang, cela a dû m’arriver il y a deux jours. » Je suis très sujet à ces violentes crises de larmes, pour d’excellentes raisons. Oui.
(Jean Genet était l’un des rares écrivains contemporains avec lesquels Burroughs s’est senti des affinités.)
V. B. : Depuis notre dernière rencontre, Jean Genet est mort. As-tu des souvenirs à évoquer ou des choses à dire à son sujet ? Savais-tu par exemple que pendant les six dernières années de sa vie, Genet a écrit un livre super, Un Captif Amoureux ? Il passait son temps en compagnie de jeunes soldats en Syrie et en Jordanie.
W. B. : Non, je n’en savais rien, c’est fascinant. Tu vois, la dernière fois que je l’ai vu, c’était bien sûr à Chicago en 1968, mais Brion (Gysin) l’a rencontré par la suite quand il était à Tanger et ils ont pu vraiment entrer en relation, mais je ne sais rien de son amour pour les soldats syriens, raconte, raconte…
V. B. : Je t’enverrai le livre. C’est une méditation admirable sur l’engagement du jeune soldat. Sa mère, dans un geste d’amour, lui tend un verre de lait au moment où il s’en va…
W. B. : Comme j’admire cet homme capable de conserver un intérêt presque adolescent, c’est vraiment super…
(William se lève et quitte la pièce. Quelques minutes plus tard, il revient, rayonnant, et traverse la pièce en glissant.)
Je viens d’avoir une sensation extraordinaire en arrivant dans les toilettes pour pisser, la sensation que Genet revenait. Genet, Genet, Genet. Oh, mon Dieu – c’était phénoménal !
V. B. : Il était là, dans la pièce même ?
W. B. : Non, en moi-même. Il ne se promenait pas autour, il était en moi. Genet, Genet, Genet, OH !
J. G. : Je nais. Genet veut dire « Je nais » en français.
W. B. : Oui, c’est vrai, mais son esprit était présent, je l’ai senti avec une telle force ! Wow !
J. G. : William, si Genet est entré en toi ce soir, pouvons-nous l’interviewer, juste lui poser quelques questions ?
W. B. : (solennel) Oui, bien sûr. Vas-y.
J. G. : Monsieur Genet, quel est le sens de cette phrase : « Il y avait moi et il y avait la langue française. J’ai coulé l’un dans l’autre et… » ?
W.B. (en tant que Genet) : « C’est fini (en français dans le texte). C’était là tout ce que je pouvais faire. J’ai pu me prendre et m’introduire dans la langue française. C’était la seule langue que j’étais en mesure de posséder, de même que je ne pouvais qu’être un voleur français. Et une fois que j’ai eu réalisé cela, j’avais accompli tout ce dont j’étais capable. (Revenant en lui-même) Il est mort dans un hôtel. Il a toujours vécu dans une sorte d’anonymat…
V.B. : Est-ce que tu as une bonne mémoire ?
W.B. : Oui, j’ai presque une mémoire photographique.
V.B. : Même en te replongeant cinquante ans en arrière, tu as des images précises d’événements particuliers ?
W.B. : Attends un moment, ce n’est pas tout à fait exact. Il y a des circonstances dont je me souviens très bien et d’autres dont je ne garde aucun souvenir. Ma mémoire des faits remontant à quelques années en arrière est bien meilleure que ma mémoire des faits récents. Je me souviens de mon premier souvenir conscient. Je descendais les escaliers et il y avait un miroir, j’avais trois ans, et j’ai dit au miroir : « Trois, trois. » Il y avait entre autre, je ne sais pas si cela s’est passé avant ou après, je buvais de l’antésite dans l’arrière-cour et il faisait très chaud. Je me souviens du goût de l’antésite. Je revois encore la bouteille…
J.G. : Alors si aujourd’hui je t’apportais une bouteille d’antésite, tu pourrais, comme Proust, te sentir transporté dans le passé.
W.B. : J’en doute, non, c’était juste… ce ne serait pas la même antésite.
(Les yeux fermés, le visage serein, William semble regarder un objet très éloigné et mal éclairé. Chantonnant.) Antésite, antésite, antésite, antésite. Oui… (Silence).
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[1] James Grauerholz : secrétaire de William Burroughs.
[2]. « Johnson » : « Un Johnson respecte ses engagements. C’est un homme de parole et on peut faire affaire avec lui. Un Johnson s’occupe de ses propres affaires. Ce n’est pas un pharisien ni un fauteur de troubles. Un Johnson donnera un coup de main quand on a besoin d’aide. Il ne restera pas planté quand quelqu’un se noie ou est bloqué dans une voiture en feu. » W. Burroughs , Parages des Voies Mortes, Christian Bourgois éd. (NdT).
Le 1er août, à l’âge de 91 ans, Roger Gentis nous a quittés.
Lorsque j’étais interne au CHS de Fleury les Aubrais, dans les années 1970, il fut pour moi un Maître. Ce grand psychiatre était une figure de proue du mouvement de la psychothérapie institutionnelle, né à Saint Alban en 1942, à l’époque de la Résistance contre le totalitarisme Nazi. Ce mouvement, à la Libération, s’est engagé dans l’humanisation des hôpitaux psychiatriques en transformant l’institution asilaire en une néo société dans laquelle les malades mentaux devenaient participatifs en tant que personnes. Ce fut l’époque des clubs thérapeutiques, de la formation des infirmiers (en particulier par les stages CEMEA) à l’écoute des patients et à un positionnement relationnel désaliénant, via la grille psychanalytique essentiellement.
Jeune interne, je prenais en charge le journal des patients (l’Echo des Bruyères fondé en 1947), organisait des échanges d’idées associant patients et personnel soignant dans les unités de soins, participait à la revue Vie Sociale et Traitement (VST), ainsi qu’à des stages CEMEA. C’est d’ailleurs de cette époque de formation que s’est forgé mon intérêt pour la communication dans le champ de la psychiatrie.
Roger Gentis était doté d’une grande curiosité pour les nouvelles approches thérapeutiques, telles que la bioénergie, le cri primal, dont l’époque était foisonnante. Il s’engageait surtout résolument dans la seconde phase de la psychothérapie institutionnelle : le retour des patients « dans la cité ». C’est ce qui allait s’appeler la psychiatrie de secteur. Il n’hésitait à venir dans une salle de cinéma pour parler de la psychose avec un public. Et il faisait salle comble. Il était également un fervent militant de l’UNAFAM (mouvement associatif des familles de malades mentaux).
This is an extremely interesting book by Warwick Sweeney, with a foreword by Pr Andrew Lees, on Dr Dent’s treatment of apomorphine, on William Burroughs, and on the evolution of the medical area since the fifties in the domain of drugs and the changes of the nature of relation towards patients in the economical context. Hence, the lightening it brings on those latest decades allows a better understanding of the present goals, very useful to health workers and to potential or actual patients as well.
The edition itself by Bracket Press is very good quality, containing many black and white and color illustrations and original documents, for a cheap price compared to the result.
HARDY TREE – A Doctor’s Bible
by J. Warwick Sweeney
The current rises in anxiety, depression, mental ill-health and addiction are out of control. In the middle of the 20th century, John Yerbury Dent, a pioneering London doctor from the ‘do no harm’ tradition, campaigned for a deeper understanding of these ailments, better treatments and policies. Few listened.
Hardy Tree is a biographical novel written by Dent’s grandson, J Warwick Sweeney, and plots the life of Dent using the doctor’s own writings; his unpublished memoirs and correspondence.
Towards the end of Dent’s life an anonymous and unfulfilled literary genius suffering from heroin addiction came to London. Knocking at death’s door he was sent to knock on Dent’s. His name: William Seward Burroughs.
Hardy Tree is the previously untold story of Burroughs’ rebirth and the crucial part played by his doctor’s compassion, and the lost art of healing. An inspirational and timely story.
Production details: 215mm x 153mm, 448 pages, litho printed on Munken Premium Cream 90gsm, illustrated (colour + b/w), black endpapers, sewn-section binding with fully blocked cover and printed dust jacket. Limited edition of 500 hand-numbered copies. Weight: 1kg approx.
ISBN 978-1-9996740-3-8. Publishing date: 23 August 2019.
RRP: £30.00 + P&P
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Monsieur B était un homme d’une cinquantaine d’années. De taille moyenne, il était vêtu au fil des ans d’une veste chinée défraîchie à dominance beige et de pantalons de costume dépareillés. Ses cheveux gris clairsemés étaient coiffés en arrière. Il portait souvent, été comme hiver, un feutre marron.
Il était arrivé à l’hôpital dès l’ouverture de ce dernier, flanqué de l’étiquette de schizophrène. L’asile départemental où il était interné depuis une quinzaine d’années l’avait transféré dans le cadre de la sectorisation pour qu’il soit rapproché de sa famille. Il avait en effet une femme et deux filles qui habitaient dans les environs, mais n’avaient jamais donné signe de vie depuis son arrivée.
Les premiers temps, l’hôpital étant ouvert, il avait tenté quelques promenades à pied jusqu’à la ville, promenades qu’il agrémentait d’une halte dans un café pour y boire un verre de vin. A son retour dans le service, il se reprochait tellement son attrait pour les boissons alcoolisées, bien qu’il n’eût jamais bu au point d’être ivre, qu’il mit un terme à ses sorties.
Depuis, il se cantonnait dans l’enceinte de l’hôpital. Les jours de beau temps, il allait prendre le soleil sur le parking. Ses activités se bornaient à la fréquentation de la cafétéria et à la rédaction de quelques rares articles destinés au journal intérieur à l’établissement dont il gardait précieusement un exemplaire de chaque numéro dans sa chambre. Il en possédait la collection complète. Il finit par interrompre cette occupation et, s’il continuait à acheter le journal, il en cessa la lecture, disant que, comme il ne lisait pas tous les articles, il redoutait la vengeance de ceux qu’il négligeait, leur attribuant une vie et une volonté propre.
Sa propension à boire du café avait engendré entre le personnel et lui des relations basées sur le contrôle de sa consommation de cette boisson. Comme d’autres hospitalisés, il l’utilisait pour combattre les effets de ses médicaments et emplissait généralement son bol d’une quantité de café égale sinon supérieure au volume d’eau. Devant les limites qui lui étaient posées, il réagissait par de faibles protestations, puis s’en allait en marmonnant, l’air résigné, regagnant sa chambre ou le radiateur du service auquel il s’adossait, observant les allées et venues et chantonnant de temps à autres. Sa discrétion et sa docilité en avaient fait un des oubliés du service. Ses relations avec les psychiatres se bornaient à une poignée de main quotidienne.
Il entretenait avec les autres hospitalisés des contacts la plupart du temps courtois; avec certains il évoquait son passé dans l’armée, la deuxième guerre mondiale qui l’avait entraîné en Allemagne puis en Tunisie, bien avant ses premières relations avec la psychiatrie. Il ne supportait cependant pas que d’autres outrepassent les limites qui lui étaient fixées en matière de consommation de café et n’hésitait pas à dénoncer les éventuels goulus au personnel présent, adoptant la mimique d’un enfant cafteur : « Monsieur, il y a Untel qui boit tout le pot de café dans la cuisine! »
Monsieur B était un homme poli, déférent même. A l’égard du personnel il adoptait l’attitude du subalterne devant son supérieur hiérarchique, la tête penchée en avant, le regard rivé au sol, n’omettant jamais de terminer ses phrases par un respectueux « Monsieur » ou « Madame ».
Des petits faits de la vie courante, qui paraîtraient insignifiants à la plupart des gens, tenaient pour lui une grande importance. Fumeur, il lui arrivait de solliciter ou de donner du feu. A chaque fois il notait scrupuleusement sur un petit carnet le nom de la personne avec qui il avait eu cet échange et lui en rendait compte régulièrement : « Vous me devez, ou, je vous dois X fois du feu. » Quand son interlocuteur s’en étonnait, il répondait en disant que le fait de donner du feu n’était pas négligeable, qu’un sou est un sou, que les bons comptes font les bons amis et qu’il ne voulait pas devoir quoi que ce soit à quiconque.
Il passait ses journées à réfléchir et à observer. Il s’exprimait peu. Je l’entendis une fois parler de son épouse. Il n’avait jamais cessé de l’aimer et, bien que très peiné du fait qu’elle ne lui donne pas de nouvelle, il l’en excusait, attribuant son silence à sa maladie : « Je ne suis qu’un pauvre fou. », disait-il. Il avait recouvert les murs de sa chambre de phrases écrites au crayon de papier dédiées à sa femme : « J’aime plus que plus que des trilliards de fois Madame B. » Un jour elle demanda le divorce et l’obtint, sans avoir revu son mari.
Monsieur B. s’était retiré du monde des vivants et les propositions qui lui étaient faites de promenades ou de sorties au cinéma se heurtaient immanquablement à un refus : « Non, madame, je ne peux pas y aller, mes pronoms ne sont pas d’accord. » Je tentai plusieurs fois d’en savoir plus, lui demandant des explications sur ces mystérieux pronoms, sans succès. Il bredouillait alors quelques phrases inaudibles et s’en allait en chantonnant, coupant court à la conversation. Aucun soignant ne savait exactement ce qu’ils représentaient pour lui, si ce n’est qu’ils semblaient jouer un rôle négatif. Un jour, alors que je lui présentais ses médicaments, il me dit : « Ce n’est pas moi qu’il faut soigner, madame, ce sont mes pronoms. » Puis il s’éloigna, l’air préoccupé.
J’aimais bien Monsieur B.. J’appréciais sa courtoisie et m’efforçais de m’adresser à lui avec une égale politesse. Quant aux limites que ma fonction d’infirmière m’intimait de lui poser, je les lui expliquais en prenant en compte son état de santé. Bien que peu convaincu, il était content que je mette les formes et répondait en hochant la tête, l’air résigné : « Je comprends, madame, je comprends. » Quand je prenais mon travail, il quittait son radiateur pour venir me donner une poignée de main et, soulevant son chapeau de l’autre, il ne manquait pas d’accompagner son salut d’une révérence que je lui rendais. Son visage s’animait alors d’une expression de connivence amusée. Après plusieurs années, nous entretenions des relations tacites de respect mutuel et de complicité.
De temps en temps, il venait dans le bureau le soir après le dîner alors que je compulsais ou remplissais des dossiers et que les autres personnes étaient couchées ou regardaient la télévision. Il s’asseyait et, échangeant parfois quelques mots de l’ordre du passe-temps, passait une heure en ma compagnie. Je lui proposai de profiter de cette heure creuse pour discuter un moment avec lui comme il m’arrivait de le faire avec d’autres hospitalisés, et lui dis que je me tenais à sa disposition au cas où il désirerait m’entretenir de sujets qui lui tenaient à cœur.
Un beau soir, il entra dans le bureau et, de son ton de rapporteur, il dit : « Madame, il y a un de mes pronoms qui ne veut pas croire que le pape est polonais. » C’était la première fois qu’il me demandait d’intervenir dans son domaine. Je décidai de jouer le jeu et, rentrant dans le rôle de l’inspecteur recueillant la déposition du plaignant, je résolus d’enquêter sur les fameux pronoms. J’enclenchai le magnétophone que je portais avec moi de temps en temps. La conversation qui suit est la fidèle retranscription du dialogue que nous eûmes alors. C’est, à ma connaissance, la première fois que Monsieur B. accepta de livrer des explications détaillées sur ce qu’il vivait et de dresser une carte de son territoire intérieur.