Devoir de réserve: le gendarme Matelly réintégré

Décision complète du Conseil d’ Etat: http://www.conseil-etat.fr/cde/node.php?articleid=2212 & Communiqué de presse

Dans le site des Inrockuptibles :

http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/56548/date/2011-01-12/article/devoir-de-reserve-le-gendarme-matelly-reintegre/

Pour ses prises de position contre la fusion police-gendarmerie, Nicolas Sarkozy avait radié à vie Jean-Hugues Matelly de la gendarmerie. Le Conseil d’Etat vient d’ordonner sa réintégration au même poste.

Epilogue d’un feuilleton de deux ans : Jean-Hugues Matelly, va retrouver son poste de gendarme sur décision du Conseil d’Etat. Un décret présidentiel du 12 mars 2010 officialisait sa radiation de la gendarmerie pour “manquement grave à son obligation de réserve”.

Dans une tribune publiée le 30 décembre 2008 par Rue89, cosignée avec deux universitaires, Laurent Mucchielli et Christian Mouhanna, Jean-Hugues Matelly critiquait le rapprochement police-gendarmerie, effectif début 2009.

Ce mercredi, le conseil d’Etat a annulé le décret, estimant que le gendarme avait tenu des propos « mesurés » et soulignant son « excellente manière de servir en tant qu’officier » dans sa décision:

« En faisant le choix de la mesure la plus lourde, équivalente à un licenciement alors qu’elle disposait d’un éventail de sanctions larges (notamment la possibilité de prendre une mesure de retrait temporaire d’emploi), l’administration a prononcé à l’encontre de cet officier de gendarmerie une sanction manifestement excessive. »

Le ministère de la Défense, responsable de la discipline des gendarmes, doit donc prendre un nouveau décret pour le réintégrer à son poste. Chef d’escadron (l’équivalent d’un commandant de police) mais aussi chercheur associé au CNRS, le gendarme voulait résumer pour le grand public un article destiné à la revue Pouvoirs Locaux. Il s’est également exprimé sur le sujet au micro d’Europe 1.

Le Conseil d’Etat lui donne raison. Sans surprise, puisque dans ses conclusions, fin novembre, le rapporteur du Conseil d’Etat s’était prononcé pour sa réintégration dans la gendarmerie. Outre celui des chercheurs co-signataires de sa tribune, Jean-Hugues Matelly avait reçu le soutien d’associations liées à l’armée ainsi que celui, plus inattendu, d’Alain Bauer, criminologue et conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions de sécurité.

En avril, la plus haute instance administrative avait déjà en partie censuré le décret de radiation et adouci une sanction jugée “disproportionnée par rapport aux faits” : Jean-Hugues Matelly, bien que radié, devait continuer à toucher sa rémunération et à bénéficier de son logement de fonction dans l’attente d’une décision sur le fond.

Dans l’après-midi, la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) a réagi dans un communiqué. Elle « prend acte » et annonce que « conformément à cet arrêt, l’intéressé sera réintégré au sein de la gendarmerie nationale ». Mais l’institution va engager de nouvelles poursuites disciplinaires :

« Le Conseil d’Etat précise notamment que M. Matelly, qui est un militaire, ne peut se prévaloir du statut de chercheur, ni de la liberté d’expression reconnue aux universitaires. Par conséquent, une nouvelle procédure disciplinaire sera engagée. »

A la lecture de ce communiqué, dont il n’avait pas connaissance, Jean-Hugues Matelly se dit « un peu désabusé ». « Visiblement on n’en a pas fini, mais on fera face, comme toujours. »

Une sanction inédite

La radiation des cadres est la plus lourde sanction disciplinaire pouvant être prononcée contre un militaire. Une dizaine a lieu chaque année, dans des cas bien précis, rappelle Jean-Hugues Matelly, que nous avions rencontré quelques semaines avant la décision du Conseil d’Etat :

“Il s’agit de fautes très lourdes : vols ou conduite alcoolisée en service, avec récidive, ou des infractions pénales majeures, comme un homicide. Cela n’arrive jamais en matière de liberté d’expression.”

A noter : les gendarmes qui ont obéi aux ordres en incendiant des paillotes corses n’ont reçu aucune sanction disciplinaire malgré leur condamnation au pénal. Le “cas Matelly” rappelle celui du policier Philippe Pichon, également chercheur, en bisbilles avec sa hiérarchie pour ses écrits. “Nous partageons une vision des services de sécurité au service des citoyens et de la difficulté à passer sous silence certains éléments…” commente Jean-Hugues Matelly.

Sauf que le commandant Pichon est poursuivi en justice pour “violation du secret professionnel” après avoir divulgué des fiches STIC dans la presse.

Devoir de réserve ou obligation de se taire

Les textes encadrant le devoir de réserve des militaires sont assez similaires dans toute l’Europe. Seule la pratique diffère, comme l’explique Jean-Hugues Matelly :

“En Alllemagne, au Danemark et en Scandinavie, on privilégie les formes d’expression collective, en reconnaissant des syndicats militaires. Rien de tel en Angleterre ou Etats-Unis, ou règne une large liberté de ton individuelle.”

En France, l’autorisation préalable requise pour s’exprimer sur les sujets politiques a été supprimée en 2005. Reste le statut des fonctionnaires de 1983, appelant à la modération et à la loyauté. Et l’interdiction faite aux militaires de se syndiquer.

Cependant, comme dans la police nationale, la transformation du devoir de réserve en bouclier contre toute critique du système conduit les militaires à témoigner de manière anonyme. En 2008, des officiers supérieurs de l’armée désignés sous le pseudonyme collectif “Surcouf” publient une lettre critiquant les orientations du Livre blanc sur la défense. Immédiatement, des enquêtes internes cherchent à identifier les responsables.

L’assouplissement des règles théoriques ne présage pas d’une expression plus libre. Dans “l’affaire Matelly”, pour reprendre le titre du livre écrit par son protagoniste, un autre gendarme a fait les frais d’une certaine crispation. L’adjudant A., voulant soutenir le chef d’escadron, publie sur Internet un poème signé de son nom. Aussitôt suspendu et blâmé, il a été affecté ailleurs (sans pour autant être rétrogradé).

Etonnant quand on se souvient qu’en 1934, le colonel Charles De Gaulle subit des critiques mais aucune sanction malgré un ouvrage diamétralement opposé à l’état major français : Vers l’armée de métier. Le dernier cas connu de représailles contre un militaire s’affranchissant de son devoir de réserve date de 1957. Le général Jacques De Bollardière condamne alors publiquement l’usage de la torture en Algérie. Il écope de 60 jours d’arrêt à la forteresse de La Courneuve.

Camille Polloni

Mise à jour le 12/01/11 à 16h59 avec le communiqué de la DGGN et la réaction de Jean-Hugues Matelly.

L’affaire Matelly, Jean-Hugues Matelly, éd. Jean-Claude Gawsewitch (octobre 2010, 18,90 euros).

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